La méthode MN est une méthode utilisant les moments de l'équation de Boltzmann introduite par Harold Grad en théorie cinétique des gaz[2]. Elle est appliquée à la résolution du transfert radiatif. Dans cette méthode la fermeture du système utilise la maximisation de l'entropie de Bose-Einstein dans le cas des photons, celle de Boltzmann dans d'autres cas, par exemple en irradiation médicale. Cette méthode a été introduite par Gerald Minerbo en 1978[3],[N 1]. Elle est essentiellement utilisée dans les problèmes de transfert énergétique mais donne une solution trop imprécise angulairement pour les problèmes optiques.

Températures dans un jet de disque protoplanétaire. Calcul M1 couplé à l'hydrodynamique[1].

Moments de la luminance modifier

Valeurs spectrales modifier

L'équation de transfert radiatif porte sur la luminance spectrale L (x, t, θ, ν) correspondante à l'intervalle de fréquence (ν, ν + dν). On se place en une dimension d'espace et la distribution angulaire est de révolution, décrite par le seul angle de colatitude θ pour des coordonnées sphériques. On supposera de plus que les coefficients d'absorption et d'extinction sont indépendants de la fréquence et que le terme d'émission en volume correspond à un corps noir

 

où neq est le nombre d'occupation à l'équibre thermodynamique, h est la constante de Planck, k la constante de Stefan-Boltzmann et c la vitesse de la lumière. La température T (x, t) est supposée connue.

La diffusion est élastique (sans changement de fréquence) et caractérisée par la fonction de phase P (α) fonction de la seule déviation α.

L'équation de Boltzmann instationnaire qui décrit la conservation de l'énergie dans la direction correspondante à μ s'écrit ici

 
   donne la direction de propagation pour une fonction de phase supposée de révolution,
   déviation (μ, μ'),
  coefficient d'extinction totale,
  coefficient d'absorption,
   coefficient d'extinction,

Les premiers moments sont

  • l'énergie volumique
 
  • l'exitance (le flux) M et sa valeur normalisée f
 
  • la pression et sa valeur normalisée (coefficient d'Eddington)
 

À l'équilibre thermodynamique

 

Valeurs intégrées en fréquence modifier

Compte tenu du choix de l'indépendance des coefficients vis-à-vis de la fréquence toutes les équations ci-dessus sont valables pour les quantités intégrées en fréquence

 
 
 
 

On a défini la notation ⟨ . ⟩ pour l'intégrale en fréquence et en angle, ainsi que la température radiative TR.

À l'équilibre thermodynamique

 

où σ est la constante de Stefan-Boltzmann.

Système aux moments modifier

En prémultipliant l'équation de Boltzmann par 1, μ, ... et en intégrant sur μ on obtient un système sur les moments de la luminance

 

où apparaît le premier moment de la fonction de phase g1

 

g1 = 0 pour toute distribution symétrique : distribution isotrope ou diffusion Thomson par exemple.

Le système sur les valeurs intégrées en fréquence est le même (en remplaçant 4 π B par a T4) puisqu'on a supposé les coefficients indépendants de celle-ci.

Propriétés modifier

Par substitution dans le système ci-dessus on voit que celui-ci est entièrement décrit par E, f et χ, ces deux dernières valeurs jouant le rôle de nombres adimensionnels. Ils sont appelés premier et second facteur d'Eddington dans la théorie à N moments.

Ces moments sont des moments de Hausdorff et possèdent un certain nombre de propriétés[4]

  • les symétries du problème entraînent     
χ = 1 / 3 correspond à l'isotropie et χ = 1 à un rayon.

Par ailleurs :

  •   : cette inégalité découle des expressions précédentes. Elle exprime que le flux maximal possible correspond au transfert de l'énergie à la vitesse c
 
  • le système décrit ci-dessus est hyperbolique. En supposant que les valeurs propres du système croissent avec | f | on montre que χ est une fonction convexe de f et que la dérivée χ' (f) vérifie | χ' (±1) | = 2 afin que la vitesse caractéristique en χ = ±1 (correspondante à un rayon lumineux) soit ±c.

On voit que f et χ sont sévèrement limités. Ceci a incité les physiciens à proposer un certain nombre de fermetures du type χ = g (f) appelées méthodes à facteur d'Eddington variable.

Fermeture entropique modifier

 
Distribution angulaire pour diverses valeurs de f (0, 0.3, 0.7, 0.9) dans la méthode M1 (la direction du flux est ici π / 4 ).

Le système ci-dessus est, comme tout système aux moments, incomplet : chaque équation sur un moment fait apparaître un moment d'ordre supérieur inconnu. Au-delà du travail initial de Gerald Minerbo une méthode générale a été introduite par David Levermore[5]. Elle utilise l'entropie volumique spectrale d'un gaz de photons[6]

 

où n est le nombre d'occupation.

La fermeture consiste à choisir la luminance spectrale qui maximise l'entropie sous la contrainte de respecter les moments pris en compte. Ceci est toujours possible, l'entropie étant une fonction convexe de L. Un exemple est celui de la recherche de la fonction d'équilibre thermodynamique B supposée inconnue

 

La solution de cette équation est la distribution de Planck définie plus haut.

Dans le cas général on note m = (1, μ, μ2,...). Le problème de minimisation s'écrit

 

où ℳ0, ℳ1, ℳ2,...(ces quantités sont l'énergie, le flux, la pression,... et sont ici des paramètres du problème) sont les moments à respecter. On leur substitue les moments adimensionnés f, χ,.... La solution de ce problème est la fonction duale au sens de Legendre de l'entropie

 

La démonstration est identique à celle de l'encadré précédent. La solution obtenue correspond à un spectre de corps noir et à une distribution angulaire d'autant plus complexe que l'ordre est élevé.

Dans le cas où l'on prend les deux premiers moments la solution appelée M1 est analytique[7] et conduit à la relation de fermeture

 

Il n'est pas nécessaire de connaître la distribution angulaire qui est sous-jacente dans le problème résolu. Celle-ci est régulière (voir courbe jointe) pouvant aller de l'isotropie au rayon. La méthode M2 permet d'obtenir des distributions plus complexes[8].

Propriétés de la solution modifier

Le caractère hyperbolique[7] permet d'utiliser des solveurs numériques efficaces développés pour la mécanique des fluides. Le couplage avec l'hydrodynamique en est grandement facilité[9],[10]. La solution du système couplé est entropique (l'entropie du système croît au cours du temps) ce qui assure un bon comportement numérique.

Une pathologie de cette méthode est la possibilité de discontinuités de la solution comme en mécanique des fluides : des « chocs radiatifs » sans existence physique rencontrés lors du croisement de deux faisceaux. Ce problème n'existe que pour les développements de moments à l'ordre impair[11]. Ils peuvent être surmontés par une méthode de partition de l'espace analogue à la méthode à deux flux[12], laquelle n'est guère utilisée, le problème ne se posant généralement pas.

La méthode a été étendue au problème multidimensionnel en espace où M est une quantité vectorielle et P et les moments suivants des quantités tensorielles[7] et à un spectre quelconque en utilisant le découpage en bandes de fréquences[13]. Il existe également des travaux sur la méthode M2 utilisant l'entropie de Maxwell-Boltzmann[14].

Un exemple modifier

 
Distributions angulaires dans une lame isotherme en x / e = 0.95 et κ e = 3 (rouge : solution exacte, vert : méthode M1).

Prenons l'exemple très simple du rayonnement dans et hors d'une lame d'épaisseur e, de température T, émissive et absorbante mais non diffusante, en régime stationnaire. Le repère utilisé a son origine sur l'une des faces et pointe vers l'intérieur du domaine. L'équation de Boltzmann est ici

 

La solution de ce problème différentiel linéaire du premier ordre est

 
 
 

où Ei est l'exponentielle intégrale d'ordre i.

Cet exemple a le mérite d'être simple et donc de permettre de tester le cas plus général d'un spectre quelconque en permettant un calcul de référence raie par raie[13]. La comparaison avec la solution M1 (voir courbe ci-contre) montre que la distribution angulaire n'est que médiocrement approchée, ce qui ne fait pas de la méthode une bonne candidate pour les problèmes d'optique. Pourtant l'erreur sur le flux sortant n'excède pas 3%. Ce chiffre se compare à la méthode SN ou à la méthode PN avec N ≈ 10, pour un coût calcul notablement moindre. Une telle erreur doit être rapprochée de la connaissance sur les coefficients d'absorption qui sont de l'ordre de 10% dans les meilleurs cas[15].

Notes modifier

  1. Pour des raisons de simplicité Minerbo a utilisé la statistique de Maxwell-Boltzmann ce qui, en termes de rayonnement, correspond au spectre de Wien.

Références modifier

  1. (en) « 3D parallel code for hydrodynamics, MHD, radiative transfer and gravity », sur CEA IRFU
  2. (en) H. Grad, « On Kinetic Theory of the Rarefied Gases », Communications on Pure and Applied Mathematics, vol. II,‎ , p. 331-347
  3. (en) G. N. Minerbo, « Maximum Entropy Eddington Factors », Journal of Quantitative Spectroscopy & Radiative Transfer, vol. 20, no 6,‎ , p. 541-545
  4. (en) A. M. Anile, S. Pennisi et M. Sammartino, « A Thermodynamical Approach to Eddington Factors », Journal of Mathematical Physics, vol. 32, no 2,‎ , p. 544-550
  5. (en) C. David Levermore, « Moment Closure Hierarchies for Kinetics Theories », Journal of Statistical Physics, vol. 23, nos 5-6,‎ , p. 1021-1065
  6. (en) J. Oxenius, Kinetic Theory of Particles and Photons, Springer-Verlag, , 356 p. (ISBN 978-3-642-70728-5, lire en ligne)
  7. a b et c B. Dubroca et J.-L. Feugeas, « Etude théorique et numérique d'une hiérarchie de modèles aux moments pour le transfert radiatif », Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 1re série, vol. 329, no 10,‎ , p. 915-920
  8. (en) Philipp Monreal et Martin Frank, « Higher order minimum entropy approximations in radiative transfer », sur arXiv
  9. (en) P. Charrier, B. Dubroca, G. Duffa et R. Turpault, « Multigroup model for radiating flows during atmospheric hypersonic re-entry », Proceedings of the First International Workshop on Radiation of High Temperature Gases in Atmospheric Entry, ESA,‎ , p. 103-110 (ISBN 92-9092-843-3, lire en ligne)
  10. (en) M. Gonzalez, E. Audit et P. Huynh, « HERACLES: a three-dimensional radiation hydrodynamics code », Astronomy and Astrophysics, vol. 464, no 2,‎ , p. 429-435
  11. (en) C. D. Hauck, « High-Order Entropy-Based Closures for Linear Transport in Slab geometry », Communications in Mathematical Sciences, vol. 9,‎ , p. 187-205
  12. (en) R. Turpault, M. Frank, B. Dubroca et A. Klar, « Multigroup Half Space Moment Approximations to the Radiative Heat Transfer Equation », Journal of Computational Physics, vol. 198,‎ , p. 363-371
  13. a et b (en) R. Turpault, « A Consistent Multigroup Model for Radiative Transfer and its Underlying Mean Opacities », Journal of Quantitative Spectroscopy & Radiative Transfer, vol. 94,‎ , p. 357-371
  14. (en) T. Pichard, G. Alldredge, G. W. Brull, B. Dubroca et M. Franck, « An Approximation of the M2 Closure: Application to Radiotherapy Dose Simulation », Journal of Scientific Computing, vol. 71,‎ , p. 71-108
  15. (en) L. S. Rothman et J. Schroeder, Millenium HITRAN Compilation, Twelth ARM Science Team Meeting Proceedings, (lire en ligne)

Voir aussi modifier