Livre de poche

livre suffisamment petit pour tenir dans une poche

Un livre de poche est un format d'impression de livre qui possède trois principales caractéristiques : une dimension réduite, un prix modéré et un tirage relativement important[1].

Avant tout destiné à un public élargi[1], le livre de poche est de qualité relativement plus faible qu'un ouvrage original, tant au niveau de l'impression que du façonnage, éxécuté en cahiers collés plutôt que cousus. Les nombreuses collections de ce type permettent la réimpression à prix modique d'ouvrages ayant déjà connu un succès suffisant sous leur format d'origine.

Parmi les premiers livres au format poche se trouvaient parfois des récits de nature érotique ou sentimentale, format qui permettait de dissimuler le livre à l'abri des regards – on pourrait parler ici d’un format de discrétion[2].

Histoire d'un format modifier

Pratiques et modes de lecture modifier

Le livre au format poche est une invention qui va remettre en question le rapport que les lecteurs entretiennent quant à leurs pratiques ou modes de consommation de cet objet qu'est le livre. Son mode de fabrication change : la reliure et la couverture sont souples, le papier utilisé est plus fin, les pages ne sont pas préalablement regroupées en cahiers cousus entre eux, mais massicotées sur les quatre côtés dont l'un est directement collé sur la couverture[3]. Ses caractéristiques physiques participent à la transformation du fonctionnement du monde de l'édition au XXe siècle[4]. Ce format change également les rapports entretenus avec le commerce traditionnel de la librairie : les lecteurs trouvent ce type de format dans d'autres points de vente (gares, centres commerciaux, stations services, etc.)[5].

Le livre de format poche, peu onéreux, de plus en plus facile à fabriquer à de grands tirages, est caractéristique de l'émergence d'un marché de masse sur le plan de la lecture, élan qui prend sa source au XIXe grâce à l'industrialisation et la possibilité de réduire le coût unitaire de production[6]. Cette production s'inscrit dans l'évolution de la société de consommation. Format très décrié à ses débuts, certains virent en cette évolution une dénaturation de la valeur du livre.

Le livre de poche avant le « poche »[1] modifier

 
Le Bureau de la bibliothèque choisie dirigée à Paris par Pierre-Sébastien Laurentie proposa en 1829-1830 par souscription deux petits ouvrages (9,5 × 15 cm) par mois à 2 francs l'exemplaire. Il renouvela l'expérience en 1853 mais trop tard : via Louis Hachette, la Bibliothèque des chemins de fer l'emporta.
 
Publicité pour la collection New Century Book publiée par Thomas Nelson and Sons à New York : un petit format, relié cuir souple, mais vendu 1 dollar, une forte somme en 1899.
 
Publicité pour la collection Le Livre de Poche au dos d'un ouvrage publié par Tallandier en 1934.

L'idée du livre peu encombrant et bon marché remonte au XVIIe siècle[7]. Au XVIIe et XVIIIe siècles, les livres de colportage (tels ceux de la Bibliothèque bleue en France, le chapbook anglais, le Volksbuch allemand, etc.) sont des ouvrages de littérature populaire qui, par leur format et dans une certaine mesure leur conception, rappellent le livre de poche actuel : prenant la forme de feuille pliée 2, 4 ou 8 fois, ces publications non reliées sont grossièrement imprimées et rarement cousues, elles sont à rapprocher en définitive du fascicule.

En France, par exemple, on trouve l'expression « petit livre de poche » en 1727 sous la plume de Demoz de La Salle qui suggère de faire fabriquer de petits recueils de chants liturgiques et de les destiner aux fidèles de l'Église afin de populariser cette pratique[8].

Dans les années 1830, certains éditeurs de Bruxelles, pour des raisons politiques et de censure, publient de petits livres (format in-8 et in-16). Ces opuscules inspirent Gervais Charpentier, libraire-éditeur français « père du livre de poche » (avec l'imprimeur Eugène Roulhac sur ses instructions) qui lance en 1838 sa collection de la « Bibliothèque Charpentier » au format 11,5 × 18,3 cm à moitié prix (3,50 francs) et publie en trois ans tous les classiques de l'époque (Balzac, Hugo, Musset, etc.) avec succès. Peu avant la révolution de 1848, les frères Barba installés à Paris, lancent de petits livres à 20 centimes ou « roman à 4 sous ». En 1853, Louis Hachette avec sa « Bibliothèque des chemins de fer » est le premier à investir les points de vente que sont les gares ferroviaires. En Angleterre, la maison George Routledge & Co lance la même année une collection appelée « Railway Library ». En 1856, la maison d'édition Michel Lévy frères lance la « collection Michel Lévy » à un franc et en petit format.

En 1867, la maison allemande Reclam-Verlag lance l'Universal-Bibliothek (environ 40 centimes le volume) en profitant aussi des gares. Un autre éditeur allemand, de Leipzig, Tauchnitz, lance dans la deuxième moitié du XIXe siècle une collection de rééditions d'auteurs, traduits en anglais et du monde entier, imprimées en format poche, vendues 2 francs pièce, ce qui reste cher.

Dans les années 1870-1880, des éditeurs comme Jules Rouff se lancent dans le fascicule à diffusion périodique : de petit format, prenant la forme de cahiers agrafés, ils déclinent les œuvres d'écrivains célèbres comme Victor Hugo et se vendent 20 centimes l'unité.

Dans les premières années du XXe siècle, les collections britanniques Everyman's Library et Nelson publient des ouvrages de petit format, cartonnés, toilés et recouverts d'une jaquette illustrée vendu 1 shilling. En 1905, Fayard lance le « Livre populaire », romans populaires à 65 centimes de petit format. En 1915, les éditions Jules Tallandier commercialisent une collection appelée « Le Livre de poche », des romans populaires vendus 30 centimes de 64 à 128 pages agrafées ; cette formule se poursuivra jusqu'en 1941 ; Hachette devra racheter cette marque en 1953 aux éditions Pierre Trémois[9], ainsi que la marque « Le Livre Plastic », collection créée en 1948 par Marabout[10]). À partir de 1919, les Éditions du Sagittaire (éd. Simon Kra) lancent la « Collection européenne » (1919-1951, formellement « Collection de la Revue européenne ») au format poche 13 × 18 cm.

Essor dans les années 1930 modifier

Le livre de poche, en tant que genre et tel que nous le connaissons maintenant, c'est-à-dire à un prix relativement bas, ne prend réellement son essor que dans les années 1930, du fait surtout de la Grande Dépression.

Une première expérience européenne, éphémère, est tentée par l'éditeur Kurt Enoch (en), en 1931-1932, en Allemagne à Hambourg, puis au Royaume-UniLondres), sous le nom d'Albatross Books. La montée en puissance des nazis puis leur arrivée au pouvoir contraint Kurt Enoch de fermer sa maison d'édition et à s'exiler aux États-Unis[11].

En 1936, au Royaume-Uni, est fondée la maison d'édition Penguin Books, à l'initiative d'Allen Lane qui, dès l'année précédente, avait tenté avec succès des rééditions bon marché chez The Bodley Head, maison d'édition fondée par son oncle John Lane.

L'éditeur américain Simon & Schuster (après diverses tentatives dont celle, dès 1917, de l'éditeur Boni & Liveright) lance en 1939 la marque Pocket Books (en)[12].

Le livre de poche en France modifier

En France, entre 1833 et 1882, l'apparition d'une culture de masse suppose une alphabétisation plus généralisée[1]. Ceci est une condition essentielle à l'apparition du livre de poche à grand tirage. L'émergence de dépenses en loisir et l'existence d'un système éditorial capable d'anticiper la demande du public et de faire naître un besoin de divertissement[1]. L'homogénéisation des comportements de masse[1] se révèle déterminante pour l'histoire du livre de poche. Plusieurs dates caractérisent son histoire.

Albert Pigasse, initialement conseiller littéraire chez Grasset, fonde en 1925 sa propre maison d'édition, la Librairie des Champs-Élysées et, au sein de celle-ci, lance en 1927 la collection « Le Masque », spécialisée dans le roman policier commercialisé dans un format réduit et bon marché[13]. Le premier ouvrage de cette collection est Le Meurtre de Roger Ackroyd, d'Agatha Christie, paru deux ans plus tôt au Royaume-Uni. La spécialisation de la collection « Le Masque » et surtout son mode de fabrication, chaque ouvrage prenant au début la forme d'un livre relié et cartonné (et non souple), empêche cependant d'y voir le précurseur du genre en France. En 1938, Calmann-Lévy lance la collection Pourpre pour concurrencer la collection Nelson, les ouvrages sont là aussi publiés sous couverture cartonnée.

Les Presses universitaires de France lancent, en 1941, la collection « Que sais-je ? », destinée à rassembler, sous un format réduit (17,5 sur 11,5 cm) et bon marché, une synthèse des connaissances essentielles sur un sujet donné. Chaque ouvrage se présente sous couverture souple. Cette collection à vocation encyclopédique existe encore de nos jours.

En 1949, Marabout, maison créée en Belgique (Verviers, Bruxelles), d'abord avec sa marque « Livre Plastic », réédite de grands succès et des classiques à petit prix, puis décline des collections à partir de 1962 sous la forme de petits livres carré consacrés à des sujets pratiques (bricolage, maison, cuisine, santé, etc.). Le succès des Guides Marabout entraînera son entrée dans les Editions Hachette[14]

Les Éditions du Seuil, en 1951, lancent la collection « Microcosme » en format poche et souple[15].

En février 1953, la Librairie générale française dirigée par Daniel Filipacchi, lance la collection « Le Livre de poche », marque qui s'inscrit durablement en France, en s'ouvrant à la littérature générale et en agrégeant au départ les fonds de dizaines de maisons d'édition. D'autres éditeurs vont suivre le mouvement en lançant leur propres collections par exemple en 1958, J'ai lu (Flammarion), puis 10/18 (Plon) en 1962, etc.

L’introduction puis la popularisation du format de poche en France rencontra à ces débuts quelques oppositions, du fait d’une crainte de la banalisation et de la vulgarisation de la littérature, attitude répandue jusque dans les années 1960[16]. Julien Gracq fut aussi l’un des fervents détracteurs du livre de poche[réf. nécessaire].

Depuis les années 1990, le livre en format poche, on parle alors de « pocketisation », est publié en moyenne un an et demi après la date de publication de l'édition originale ou première édition en grand format. Cette formule offre une seconde vie au livre, en le proposant à un prix de l’ordre du tiers de la parution initiale[17].
En 2013, le livre au format poche représente un tiers du marché du livre français, et 25 % des livres achetés en librairie le sont dans ce format, contre 20 % en 2003[18].

Le livre de poche aux États-Unis modifier

Dès le XIXe siècle, les États-Unis connaissent une succession d’initiatives qui investissent le format poche, mais ces tentatives ne s’inscrivent pas dans la durée[19]. L'histoire du livre de poche aux États-Unis tels qu'elle apparait aujourd'hui : les conditions de son développement, son impact économique, ses modes d'articulation avec l'édition traditionnelle se rapportent à la société américaine de 1930-1950[20]. C'est en 1939 que commence l'ère du "paperback" (livre de poche) aux États-Unis. La collection "Pocket Book" lancée par Robert de Graaf et la firme "Simon & Schuster" connaît un succès immédiat[21]. Les "Pocket Book" se vendent 25 cents principalement dans les kiosques à journaux et connaissent des ventes records[21]. Ces petits livres brochés avec leurs couvertures en plastiques stratifiés prirent d'assaut New York, puis le reste du pays[20]. Pour aider à la vente, ils portent tous la mention "complete and Unabridged" (œuvres complètes)[20]. Dans les années qui ont suivi, de nombreuses entreprises sont devenues des joueurs dans le domaine de l'édition de poche, notamment Ace, Dell, Bantam, Avon et des dizaines d'autres éditeurs[22].

Durant la guerre, de nombreux soldats lisaient des livres de poche. De 1943 à 1946, le programme "Armed Services Editions", né d’une coopération entre l’armée et le monde de l’édition, adapte le livre de poche aux uniformes des soldats, qui peuvent l’emmener avec eux facilement[19].

Au sortir de la guerre, une culture de masse se fait sentir dans l'édition du livre de poche. Les maisons d’édition intègrent des publicités dans leurs ouvrages, augmentent les prix, lancent des revues au format poche et accordent une large place dans leurs sélections aux genres populaires[19]. Les couvertures deviennent de plus en plus sensationnalistes, avec des slogans accrocheurs et des illustrations suggestives[19]. En 1950, 200 millions d’exemplaires en format poche sont écoulés aux États-Unis[19]. Dans les années 1980, l'édition de poche représente le tiers des volumes produits dans le milieu de l'édition aux États-Unis[23]. À cette époque, le livre de poche se retrouve dans environ 100 000 points de vente, dans les librairies et les supermarchés, les kiosques à journaux et les magasins de variétés[24].

Collections célèbres modifier

La plupart des maisons d'édition françaises ont développé leurs propres collections de poche :

Création Collection Maison d'édition originale Premier ouvrage paru
1960 Petite Bibliothèque Payot Payot
1962 Idées Gallimard Camus, Le Mythe de Sisyphe
1962 Pocket Presses de la Cité
1964 GF (Garnier-Flammarion) Flammarion
1970 Points Éditions du Seuil Nadeau, Histoire du surréalisme
1972 Folio Gallimard Malraux, La Condition humaine
1977 Pluriel Hachette (aujourd'hui Fayard) Amalrik, L'union soviétique survivra-t-elle en 1984 ?
1977 Champs Flammarion Jankélévitch, La Mort
1989 Babel Actes Sud Audiberti, La Fin du monde
1992 La Petite Vermillon Éditions de la Table ronde Baillet, Vie de Monsieur Descartes
2002 Tempus Éditions Perrin Duby et Perrot, Histoire des femmes en Occident

Les Salons modifier

Depuis quelques années, des salons du livre se sont spécialisés sur le format poche :

Notes et références modifier

  1. a b c d e et f Jean-Yves Mollier, Lucile Trunel et Joëlle Garcia, Du "poche" aux collections de poche : histoire et mutations d'un genre : actes des ateliers du livre Bibliothèque nationale de France, 2002 et 2003, Liège, CEFAL, , 131 p. (ISBN 978-2-87130-293-3 et 2-87130-293-6, OCLC 778278811, lire en ligne), p. 45-46
  2. « Historique du Livre de Poche », sur Le Livre de Poche (consulté le )
  3. Parinet, Elisabeth., Une histoire de l'édition à l'époque contemporaine : XIXe – XXe siècle, Paris, Seuil, , 489 p. (ISBN 2-02-041576-3 et 978-2-02-041576-7, OCLC 300399593, lire en ligne), p. 406
  4. Parinet, Elisabeth., Une histoire de l'édition à l'époque contemporaine : XIXe – XXe siècle, Paris, Seuil, , 489 p. (ISBN 2-02-041576-3 et 978-2-02-041576-7, OCLC 300399593, lire en ligne), p. 404
  5. « L'invention du livre de poche, entre démocratisation de la lecture et réactions épidermiques », France Culture,‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. Éric Marti, « Les Enjeux du livre au format de poche, The place and future of paperbacks », Culture études, no 4,‎ , p. 1–8 (ISSN 1959-691X, lire en ligne, consulté le )
  7. Lise Andriès, La Bibliothèque bleue au dix-huitième siècle : une tradition éditoriale, Voltaire Foundation, , p. 18
  8. Réponse à la critique de M. *** contre un nouveau systême de chant, Paris, G.-F. Quillau, 1727, p. 29 — lire sur Gallica.
  9. (BNF 44457991)
  10. Ellen Constans, Ouvrières des lettres, Presses universitaires de Limoges, , p. 27
  11. Source : article « The Third Paperback Revolution », Robert Fair de Graff et Pocket Books, sur le site paperbarn.www1.50megs.com (Hyde Park Books).
  12. Roger Chartier et Jacques Revel, Histoire de la France. Choix culturels et mémoire, Éditions du Seuil, , p. 205
  13. Source : article « Le Masque », 10 février 2004, sur le site À l'ombre du Polar.
  14. Ellen Constans, Ouvrière des Lettres, Presses universitaires de Limoges, 2007, p. 27.
  15. Page « Notre histoire », sur le site officiel du Seuil.
  16. [vidéo]Le livre de poche et le mépris, 21 septembre 1964, Archives INA.
  17. Benoît Le Blanc, « La révolution du livre de poche », Hermès, vol. no 70, no 3,‎ , p. 61 (ISSN 0767-9513 et 1963-1006, DOI 10.3917/herm.070.0061, lire en ligne, consulté le )
  18. Denis Lefebvre, « Le 9 février 1953 : lancement du Livre de Poche », sur Historia,
  19. a b c d et e Louis Wiart, « Comment le livre de poche a démocratisé la lecture », sur larevuedesmedias.ina.fr, (consulté le )
  20. a b et c Kenneth C. Davis (trad. de l'anglais, préf. Bertrand Legendre), Une culture à deux balles : la révolution du livre de poche aux États-Unis, Lyon, Presses de l'ENSSIB, , 496 p. (ISBN 9791091281058), p. 11-44
  21. a et b Guillemette de Saurigné, L'aventure du Livre de Poche, Paris, Librairie Générale Française, , 124 p. (ISSN 0248-3653), p. 16
  22. Kenneth C. Davis (trad. de l'anglais), Une culture à deux balles : la révolution de poche aux États-Unis, Villeurbanne, ENNSIB, , 496 p. (ISBN 9791091281058)
  23. Guillemette de Sairigné, L'Aventure du Livre de poche : l'enfant de Gutenberg et du XXe siècle, Paris, Librairie générale française,, , 124 p. (ISSN 0248-3653), p. 123
  24. (en-US) Edwin McDowell, « THE PAPERBACK EVOLUTION », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Yvonne Johannot (1978). Quand le livre devient poche, Presses universitaires de Grenoble (PUG), collection Actualités-Recherches/Sociologie : 199 p. (ISBN 978-2-7061-0121-2)
  • Isabelle Olivero, Les Trois Révolutions du livre de poche. Une aventure européenne, Sorbonne Université Presses, 2022.

Articles connexes modifier

Liens externes modifier