Libri tres contra Galileos

œuvre de Julien

Libri tres contra Galileos (en abrégé Contra Galileos, en français Trois Livres contre les Galiléens c’est-à-dire les chrétiens) est un essai polémique contre les chrétiens, désignés par le terme « Galiléens », écrit en grec pendant son court règne (361-363) par l’empereur romain Julien. Bien qu’il ait été rédigé à l'origine en grec, on le connait surtout sous son nom latin, probablement parce que, dans sa réponse polémique Contra Julianum, Cyrille d'Alexandrie y fait abondamment référence.

Le texte lui-même est complètement perdu ; il a pu être reconstitué partiellement grâce aux citations d'auteurs anciens.

Histoire du texte modifier

« Comme tous les textes hostiles au christianisme, le Contre les Galiléens a été condamné très rapidement à la destruction, et a donc subi le même sort que les écrits antichrétiens de Celse et de Porphyre .[...] La très grande majorité des fragments du Contre les Galiléens nous a été conservée par Cyrille d'Alexandrie qui, quelque soixante-dix ans après sa publication, composa une longue réfutation du traité de l’empereur dans le Contre Julien[1]. "Théodore de Mopsueste fut sans doute le premier auteur à composer, probablement dès les années 380, une réfutation du Contre les Galiléens. Malheureusement, cette réfutation est également perdue[1] ».

Résumé de l'ouvrage modifier

Julien s'adresse aux Romains et aux Grecs païens qui pourraient être tentés d'embrasser la religion chrétienne, afin de les ramener à la religion de leurs pères. Pour les convaincre, il fait appel à des considérations d'intérêt, puis procède à un examen des Écritures chrétiennes.

L'intérêt des Romains, selon l'auteur, serait de demeurer fidèles à une organisation sociale supérieure, celle qui a engendré les Alexandre et les César, celle qui a donné naissance à de grands philosophes : « Pourquoi étudiez-vous dans les écoles des Grecs, demande-t-il aux chrétiens, si vous trouvez toutes les sciences abondamment dans vos Écritures ? », sous-entendant par là que les écoles des Grecs païens demeurent une source de savoir très supérieure à la Bible. Dans cette partie de son argumentation, Julien oppose les Grecs et les Romains d'une part, les chrétiens et les « Hébreux » (rangés dans le même camp) d'autre part.

L'auteur passe ensuite à l'examen des Écritures chrétiennes. Son but, alors, est de discréditer les chrétiens, en les présentant comme des Juifs qui se réclament de la Bible hébraïque, mais qui sont infidèles à cette même loi qui leur sert de caution. « Ils prétendent être aujourd’hui les vrais Israélites, les seuls qui croient à Moïse, et aux Prophètes qui lui ont succédé dans la Judée. Voyons donc en quoi ils sont d’accord avec ces Prophètes », écrit Julien. L'auteur passe en revue les paroles de la Bible hébraïque sur lesquelles le Nouveau Testament prend appui pour justifier l'idée d'une nouvelle alliance ; il en conclut que ces paroles ont été détournées de leur sens originel, et que les prétentions des chrétiens sont dénuées de fondement.

Visées argumentatives de l'auteur modifier

Partisan du paganisme, Julien pensait qu'il fallait agir en faveur des cultes impériaux païens d'origine et en faveur des religions ethniques de l'Empire : la vérité religieuse et la sécurité nationale l'exigeaient. Julien essaya d'arrêter l'influence croissante du christianisme dans l'Empire romain, pour se conformer à ses convictions personnelles et pour des raisons politiques.

Dans cet esprit, la politique gouvernementale de Julien tentait de mettre en lumière de façon désavantageuse les conflits en cours à l'intérieur de l'Église chrétienne. Cet essai de Julien tentait de prouver les erreurs et les dangers de la foi chrétienne en se fondant essentiellement sur ces querelles de dogme.

Dans une de ses affirmations les plus incendiaires, Julien voyait dans les chrétiens des apostats du judaïsme, religion que l'Empereur considérait comme très ancienne, établie, et qui devait être complètement acceptée. Julien a été le dernier philosémite à avoir gouverné l'Empire romain ou l’État successeur, l'Empire byzantin.

L'appellation « Galiléens » modifier

Julien appelle les chrétiens « Galiléens », les désignant par un autre terme que celui qu'ils utilisent eux-mêmes. Le projet de Julien est « d'établir que l'Église n'est qu'une secte issue d'une toute petite province de Palestine (d'où la désignation des chrétiens comme "Galiléens") »[2]. La plupart des commentateurs ont fait remarquer que le choix exclusif de l’adjectif Γαλιλαῖοι [Galiléens] devait répondre à une volonté de souligner l'origine géographique très circonscrite de la religion chrétienne, et de ridiculiser ainsi sa prétention à l'universalité[1]". Selon Stefania Scicolone, l'appellation « Galiléens » permet également à Julien d'associer les chrétiens aux juifs, et de rappeler leur origine géographique commune, pour souligner l'apostasie dont les chrétiens se seraient rendus coupables[3]. De plus, toujours selon S. Scicolone, la Galilée est connotée péjorativement dans le Talmud de Babylone comme une terre d'ignorants et de sots. Julien a pu être sensible à cette forme de dépréciation, lui qui oppose constamment la tradition lettrée de l'hellénisme d'une part, et « l'ignorance » chrétienne d'autre part[3]. Enfin, selon Fabrice Robert, « inversement, le refus d’employer le substantif Χριστιανοί [chrétiens] sonne comme un refus de reconnaître la divinité même du personnage [le Christ] qui est au cœur de toutes les croyances, et à l’origine du mot ».

Le contexte des polémiques entre hellénisme et christianisme modifier

Le texte de Julien s'inscrit dans une lignée d'ouvrages dirigés par des païens contre le christianisme, celui du philosophe Celse, Discours véritable (178), également perdu et reconstitué à partir de la réfutation qu'en donna Origène dans son Contre Celse (248), et celui de Porphyre de Tyr, intitulé Contre les chrétiens (après 271), restauré grâce aux réfutations dont il a fait l'objet, dont celle composée par Apollinaire de Laodicée en 370[4].

Réception modifier

Libanius modifier

Des fragments de Contre les Galiléens sont connus grâce aux citations élogieuses qu'en fait Libanius dans son Éloge funèbre de Julien, et reprises, cette fois dans un but polémique, par Socrate le Scolastique dans son Histoire ecclésiastique III, 23 (PG, 67, 437)[5].

Voltaire modifier

Voltaire a composé un Examen du Discours de l’empereur Julien contre la secte des Galiléens, où il défend le philosophe polythéiste ; en voici le début :

« Le fanatisme triompha, et les livres étant fort rares, ceux des philosophes ne restèrent que dans très-peu de mains, et surtout en des mains ennemies. Dans la suite, les chrétiens se firent un devoir de supprimer, de brûler tous les livres écrits contre eux. C’est pourquoi nous n’avons plus les livres de Plotin, de Jamblique, de Celse [le Discours véritable ], de Libanius ; et ce précieux ouvrage de Julien serait ignoré si l’évêque Cyrille, qui lui répondit quarante ans après, n’en avait pas conservé beaucoup de fragments dans sa réfutation même ».

On trouve dans les œuvres complètes de Voltaire, volume 28, des textes de philosophes du XVIIIe siècle qui accompagnent celui de Voltaire et vont dans le même sens que lui :

-Portrait de l’empereur Julien, tiré de l’auteur du Militaire philosophe (Jacques-André Naigeon)

-Discours de l’empereur Julien, traduit par M. le marquis d’Argens

-Supplément au Discours de Julien, par l’auteur du Militaire philosophe

Extrait modifier

(L'auteur s'adresse aux chrétiens)

Comment donc vos sentiments peuvent-ils s’accorder avec ceux de Moïse ? Vous répliquerez qu’ils sont conformes aux Écrits d’Ésaïe [Le Livre d'Isaïe], qui dit : "Voici une vierge dont la matrice est remplie, et elle aura un fils[6]". Je veux supposer que cela a été dit par l’inspiration divine, quoiqu’il ne soit rien de moins véritable ; cela ne conviendra pas cependant à Marie : on ne peut regarder comme Vierge, et appeler de ce nom, celle qui était mariée, et qui avant que d’enfanter, avait couché avec son mari. Passons plus avant, et convenons que les paroles d’Ésaïe regardent Marie. Il s’est bien gardé de dire que cette Vierge accoucherait d’un Dieu : mais vous, Galiléens, vous ne cessez de donner à Marie le nom de Mère de Dieu. Est-ce qu’Ésaïe a écrit que celui qui naîtrait de cette Vierge serait le fils unique engendré de Dieu, et le premier né de toutes les Créatures ? pouvez-vous, Galiléens, montrer dans aucun Prophète, quelque chose qui convienne à ces paroles de Jean, "toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait" ? Entendez au contraire comme s’expliquent vos Prophètes. "Seigneur notre Dieu, dit Ésaïe, sois votre protecteur ! excepté toi, nous n’en connaissons point d’autre". Le même Ésaïe introduisant le Roi Ézéchias priant Dieu, lui fait dire : "Seigneur Dieu d’Israël, toi qui es assis sur les chérubins, tu es, le seul Dieu". Voyez qu’Ésaïe ne laisse pas la liberté d’admettre aucun autre Dieu (traduction du marquis d'Argens).

Notes et références modifier

  1. a b et c Fabrice Robert, « La rhétorique au service de la critique du christianisme dans le Contre les Galiléens de l'empereur Julien », Revue d’études augustiniennes et patristiques, 54 (2008), 221-256.
  2. Michel Fédou, La Voie du Christ II, éd. du Cerf, 2016, [1]
  3. a et b (it) S. Scicolone, « Le accezioni dell’appellativo Galilei in Giuliano », Aevum, 56, 1982 (71-80), p. 71-80 ; mentionnée dans l'article de Fabrice Robert sur Julien
  4. Sur cette "série", voir Pascal Célérier, L’ombre de l’empereur Julien: Le destin des écrits de Julien chez les auteurs païens et chrétiens du IVe au VIe siècle, 2013.
  5. Pascal Célérier, L'ombre de l'empereur Julien: Le destin des écrits de Julien chez les auteurs païens et chrétiens du IVe au VIe siècle, 2013 ([2])
  6. Livre d'Isaïe, chap. 7, verset 14 : "C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe, Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, Et elle lui donnera le nom d'Emmanuel."

Bibliographie modifier

Articles connexes modifier