Les lectines sont des protéines qui se lient spécifiquement et de façon réversible à certains glucides. Elles interviennent dans divers processus biologiques, au niveau de la reconnaissance entre les cellules (par exemple lors de réponses immunitaires, d'infections).

Sources et structure modifier

Les lectines sont des glycoprotéines que l'on trouve en forte concentration dans la plupart des graines de légumineuses sèches (lentilles, fèves, pois), les céréales, mais aussi de façon plus large dans la nature (autres familles de plantes, champignons et chez les animaux aussi).

La première lectine identifiée est connue sous le terme d'hémaglutinine, extraite à partir du pois Canavalia ensiformis par Peter Hermann Stillmark en 1888 (Université de Dorpat, Russie). Le composé actif purifié, est la concanavaline A. Une autre lectine bien connue est la ricine, très toxique, obtenue à partir des graines de ricin. Les lectines sont isolées à présent à large échelle et valorisées commercialement pour caractériser les molécules glycosylées en protéomique, les structures cellulaires en biologie cellulaire, purifier des molécules glycosylées, et surtout phénotyper les cellules sanguines.

Sont distingués quatre types de lectines: les lectines C, les lectines de type p, les lectines de type l et les lectines galectine[1].

Caractéristiques modifier

Lectines majeures[2]
Sigle Noms de la lectine Source motif ligand
Lectines spécifiques du Mannose
ConA Concanavaline A, Lectine du haricot sabre Canavalia ensiformis résidus α-D-mannosyl and α-D-glucosyl

structures ramifiées d'α-mannosyl (type riche en α-mannose, ou type hybride et bi-antennaire de N-Glycans complexes)

LCH Lectine de la lentille Lens culinaris région de base fucosylée des N-Glycans complexes bi- et tri-antennaires
GNA (Snowdrop lectin) Galanthus nivalis structures riche en mannose liés α 1-3 et α 1-6
Lectines spécifiques du Galactose / N-acetylgalactosamine
RCA PhytoAgglutinine, Toxoalbumine, ricine, RCA120 Ricinus communis Galβ1-4GlcNAcβ1-R
PNA Lectine de l'arachide (Peanut Agglutinin) Arachis hypogaea Galβ1-3GalNAcα1-Ser/Thr (T-Antigen)
AIL Jacaline Artocarpus integrifolia (Sia)Galβ1-3GalNAcα1-Ser/Thr (T-Antigen)
VVL (Hairy vetch lectin) Vicia villosa GalNAcα-Ser/Thr (Tn-Antigen)
Lectines spécifiques du N-acetylglucosamine
WGA Lectine du blé (Wheat Germ agglutinin) Triticum vulgaris GlcNAcβ1-4GlcNAcβ1-4GlcNAc, Neu5Ac (acide sialique)
SNA Lectine du sureau (Elderberry lectin) Sambucus nigra Neu5Acα2-6Gal(NAc)-R
MAL (Maackia amurensis lectin) Maackia amurensis Neu5Ac/Gcα2-3Galβ1-4GlcNAcβ1-R
Lectines spécifiques du Fucose
UEA agglutinine de l(ajonc Ulex europaeus Fucα1-2Gal-R
AAL (Aleuria aurantia lectin) Aleuria aurantia Fucα1-2Galβ1-4(Fucα1-3/4)Galβ1-4GlcNAc,

R2-GlcNAcβ1-4(Fucα1-6)GlcNAc-R1

Propriétés et fonctions biologiques modifier

Les lectines se lient spécifiquement par affinité à un ose ou oligoside (présents sur des carbohydrates, glycoprotéines ou glycolipides), de façon similaire aux enzymes et aux immunoglobulines. Le mot lectine vient d'ailleurs du latin legere, signifiant «sélectionner». La fixation est usuellement plus forte des mono- aux oligo-saccharides de structure plus longue. Les constantes d'affinité Kd sont de 10-6 à 10-7 mol/L pour des glycoprotéines (donc moindres que celles des anticorps).

Chez les animaux modifier

Les lectines sont impliquées dans la régulation de l'adhésion cellulaire, la synthèse de glycoprotéines et le contrôle de la concentration des protéines dans le sang. Elles jouent un rôle majeur dans l'immunité, en reconnaissant les glucides spécifiques de certains agents infectieux pathogènes.

  • La concanavaline A induit la mitose des lymphocytes, et est supposée médier l'interaction entre les oligosaccharides (alpha-mannosyl) de la surface du virus HIV et les lymphocytes T humains.
  • Certains virus se fixent aux lectines des cellules de leur hôte pour les infecter.
  • Certaines lectines existent à la surface des cellules du foie mammalien (reconnaissent le galactose) et sont présumées servir de récepteur pour éliminer certaines glycoprotéines de la circulation sanguine.
  • D'autres lectines fixent des enzymes (hydrolases) contenant le mannose-6-phosphate, pour les délivrer aux lysosomes.
  • Les lectines fixant le mannose sont impliquées dans le mécanisme d'activation par le complément du Coronavirus félin.
  • Des lectines se fixent sur les glycoprotéines extra-cellulaires et inter-cellulaires.

Les lectines posent parfois des problèmes en alimentation.

Chez les plantes modifier

La fonction des lectines chez les plantes est mal connue. Elle semble plus liée à la croissance et à la germination, voire à la survie des graines, qu'à un rôle envisagé pour accueillir les bactéries symbiotiques type Rhizobium. Des lectines de légumineuses ou de céréales seraient une défense chimique des plantes contre les insectes en perturbant le fonctionnement de leur tube digestif[3].

Des études ont montré que plusieurs lectines reconnaissent des ligands non glycosidiques, hydrophiles (porphyrines) ou hydrophobes (adénine, auxines, cytokinine, et acide indole acétique)[4].

La ricine est une toxine mortelle, bien connue, contenant deux domaines: l'un fixe les résidus galactosyl, permettant à la protéine d'entrer dans les cellules; l'autre est une N-glycosidase qui clive les nucléobases des ARN ribosomiques, inhibant ainsi la synthèse protéique.

Plusieurs lectines végétales sont toxiques, inflammatoires, résistantes à la cuisson et aux enzymes digestives, et présentes dans une grande partie des aliments des hommes[5].

Effets alimentaires modifier

La consommation d'aliments riches en lectines peut causer diarrhées, nausées, et vomissements. Par exemple les fortes teneurs du soja en lectine SBA (soybean agglutinin) affectent l'intestin grêle (fixation sur les villosités des cellules en brosse, et modification de leur métabolisme). Une cuisson ménagère après trempage quelques heures suffit pour supprimer la toxicité relative des lectines dans les graines. Cependant, certaines lectines (exemple du haricot) résistent davantage à la chaleur que d'autres. Aussi, les lectines peuvent causer des irritations et excès d'excrétion de la muqueuse intestinale, et conséquemment affecter la capacité d'absorption intestinale. À long terme, elles peuvent causer des allergies, déficiences nutritionnelles ou immunologiques[6].

Les lectines de certaines céréales modernes pourraient induire une résistance à la leptine, hormone qui régule les réserves de graisse[7].

Élimination des lectines modifier

Il faut 72 h à 42 °C pour éliminer les lectines dans les lentilles[8].

Applications modifier

 
Histochimie des lectines (en brun) dans les muscles d'un poisson infecté par un Myxozoa

Les lectines sont utilisées en biotechnologies et en diagnostique biomédical, comme par exemple la concanavaline A (hémaglutinine), responsable de l'hémaglutination.

Les lectines fournissent des outils pour étudier les glycoprotéines (anticorps, cytokines, hormones, facteurs de croissance, enzymes, récepteurs et même toxines et virus):

– pour les purifier (par affinité, une fois couplées à un support chromatographique);
– pour les détecter (une fois marquées par un fluorophore ou une enzyme, en techniques de Cytométrie en flux, immuno-blotting, Immunoprécipitation…).

Les glycoprotéines, éventuellement après clivage enzymatique, peuvent ainsi être caractérisées quantitativement et qualitativement (glycoformes, structure de complexes, interactions).

Notes et références modifier

  1. Defranco/Robertson/Locksley, Immunité, la réponse immunitaire dans les maladies infectieuses et inflammatoires, éd. Deboeck, 2009, p. 32, (ISBN 978-2-8041-5957-3) (BNF 41457276)
  2. (en) « List de lectines », Interchim, (consulté le )
  3. (en) Andreas Schaller, Induced Plant Resistance to Herbivory, Springer Science & Business Media, , p. 291
  4. S. S., Kavitha, M., Swamy, M. J. Komath, Organic and Biomolecular Chemistry, vol. 4, , p. 973–988
  5. (en) Els. J. M. Van Damme, Willy J. Peumans, Arpad Pusztai, Susan Bardocz, Van Damme EJM, Peumans WJ, Pusztai A, S. Handbook of plant lectins : properties and biomedical applications, Wiley, , p. 31–50
  6. Katsuya Miyake, Toru Tanaka, Paul L. McNeil et Richard Steinhardt, « (en) Lectin-based food poisoning: a new mechanism of protein toxicity. », PLoS One, vol. 1,‎ , e687 (DOI 10.1371/journal.pone.0000687)
  7. (en) T Jönsson, S Olsson, B Ahrén, T C Bøg-Hansen, A Dole and S Lindeberg (2005). "Agrarian diet and diseases of affluence – Do evolutionary novel dietary lectins cause leptin resistance?". BioMed Central Ltd.. doi:10.1186/1472-6823-5-10. PMID 9546043. http://www.biomedcentral.com/1472-6823/5/10
  8. « Effect of Natural Fermentation on the Lectin of Lentils Measured by Immunological Methods »
  9. (en) Neil R. Carlson, Physiology of Behavior, 9e éd., Boston, Pearson Education, Inc., , 734 p. (ISBN 978-0-205-46724-2), p. 144
  10. (en) "A Lectin Isolated from Bananas Is a Potent Inhibitor of HIV Replication" 2010 http://www.jbc.org/content/285/12/8646.abstract


Voir aussi modifier

Articles connexes modifier