Le smoking, souvent orthographié Le Smoking avec majuscules[note 1], est le nom par lequel les Américains ont désigné l'adaptation par Yves Saint Laurent du smoking masculin pour les femmes[3]. Ce vêtement, présenté lors de la collection automne-hiver de 1966, a provoqué de vives réactions avant de devenir un classique du vestiaire féminin et une pièce emblématique pour le couturier.

Smoking Yves Saint Laurent au De Young Museum de San Francisco

Histoire modifier

Alors que, dans les années 1960, pour les soirées il sied pour les femmes de porter une robe longue et pour les hommes un habit ou un smoking, Yves Saint Laurent bouleverse ces codes en adaptant le pantalon pour les femmes, ainsi que ce vêtement masculin pour sa clientèle féminine. Le premier modèle du smoking pour femme, créé sur Danielle Luquet de Saint Germain, est présenté, en deux versions[2], dans la collection automne-hiver 1966-67[note 2], comportant « un pantalon[note 3] droit, une chemise en organdi blanc à jabot, un nœud lavallière, une ceinture de satin et une veste longue féminisée par une coupe ajustée »[3] avec quatre poches boutonnées. Le couturier met le jabot à la place du col de chemise masculine, et un ruban de soie en remplacement du nœud papillon[4].

Les réactions sont contrastées, l'accueil de la presse est très critique au départ[2] ; le public assistant à la présentation reste de marbre et certaines clientes sont consternées[5]. Un seul exemplaire est vendu à la suite du défilé[5]. Ces années-là, les femmes n'ont pas le droit d'aller au travail en pantalon et il reste inconcevable pour une cliente de haute couture de sortir le soir autrement qu'en robe longue[6]. Malgré tout, quelques rares titres de presse remarquent le modèle : La « bible » WWD l’appelle le « costume pantalon[7] » et décrit Yves Saint Laurent comme un « lanceur de bombes le plus élégant du monde de la mode »[8]. L'été passé, le couturier ouvre sa boutique de prêt-à-porter Saint Laurent rive gauche. Le Smoking, qui jusque là n'a pas fait grand bruit en haute-couture, se vend 680 francs et se répand chez les femmes en vue[8]. Car dès l'année suivant sa présentation en haute couture, Yves Saint Laurent le décline pour son prêt-à-porter. Remarqué par Françoise Hardy, il rencontre rapidement le succès[9].

Devenu pièce d'élégance du vestiaire féminin, même les clientes en haute couture veulent alors « leur » smoking, à la fois signe de pouvoir masculin mais également de féminité[10], un vêtement symbolique d'influence[2], « l’emblème absolu d'Yves Saint Laurent » dire plus tard Pierre Bergé[9]. Le succès se fait donc grâce à ce prêt-à-porter vendu par rive gauche. Le grand couturier témoigne : « La rue court plus vite que les salons. Je l'ai constaté il y a cinq ans quand j'ai fait mon premier smoking. En couture : aucun succès. En prêt-à-porter : immense »[3].

À la suite, de nombreuses personnalités telles que Françoise Hardy souvent, Mireille Darc, Hanae Mori, la muse Betty Catroux qui porte le smoking à même la peau[11] ainsi que Loulou de la Falaise, Bianca Jagger, Liza Minnelli, Lauren Bacall[2], le mannequin britannique Penelope Tree, Susan Train[7] du Vogue français, et bien sûr Catherine Deneuve, deviennent rapidement les ambassadrices du smoking.

Malgré tout, lorsque Françoise Hardy arbore le smoking de Saint Laurent à l'opéra, elle se fait huer, mais elle fait sensation en le portant pour la cérémonie de Thanksgiving de Macy's. En 1968, la socialite Nan Kempner, « la plus chic du monde » selon Saint Laurent[12], se voit refuser l'entrée d'un restaurant à cause du pantalon de smoking qu'elle porte — qu'elle retire pour ne garder que la tunique[2],[3],[7],[13],[14],[note 4].

Yves Saint Laurent[16], et d'autres après lui, revisitent le concept[17] en créant le smoking short ou la robe smoking, par exemple[13]. Le Monde le décrit comme emblème des années 1960 : « Avec ce vêtement emprunté aux hommes, le couturier fait entrer le pantalon dans la garde-robe féminine du soir ».

Pour le dernier défilé haute couture en présence du couturier, Casta et Deneuve entourent Yves Saint Laurent : ils sont tous trois en smoking[18],[19] ; le couturier aura ravivé une dizaine de fois et jusqu'à 200 déclinaisons[4] ce vêtement emblématique au sein de ses collections et précise que « l'idée d'une femme en costume d'homme n'a cessé de grandir, de s'approfondir, de s'imposer comme la marque même d'une femme d'aujourd'hui. Je pense que, s'il fallait représenter la femme des années 1970 un jour dans le temps, c'est une femme en pantalon qui s'imposerait […][16] » Le couturier, dépassant les tendances, a imposé ce vêtement comme un élément permanent de la garde-robe féminine[4].

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Si l'orthographe avec les majuscules n'est pas systématique, il se retrouve, par exemple, dans l'encyclopédie Fashion Designer A-Z : « On lui doit de nombreux modèles de référence : […], tailleur-pantalon Le Smoking en 1966[1] » ; ainsi que dans l'ouvrage Fifty fashion looks that changed the 1960s : « When Yves Saint laurent first presented 'Le Smoking' as part of his 'Pop Art' collection […][2] ».
  2. 31 juillet 1966 : collection Pop-Art (automne-hiver 1966-67).
  3. En 1962 pour son premier défilé, avec le « Navy Look », le couturier avait déjà habillé la femme d'un pantalon en shantung blanc.
  4. Bien que très largement reprise sous des versions diverses mais proches, par de nombreuses sources, Laurence Benaïm, biographe de Saint Laurent, donne une autre version, et qualifie cette anecdote de « conte » :
    « Chez Saint Laurent, l'histoire est devenue un conte : à New York, en 1968, une femme arrive au restaurant dans une tunique et un pantalon Saint Laurent. La direction lui refuse l'entrée. Elle se rend aux « Ladies », en ressort cinq minutes plus tard, en minirobe. « Bienvenue. » Sao Schlumberger assure avoir été l'héroïne de cette aventure, au restaurant La Côte basque. mais d'autres clientes la revendiquent. On cite le Twenty-One. Le Lafayette[15]. »

Références modifier

  1. (mul) (en) Valerie Steel et Suzy Menkes (trad. de l'anglais), Fashion Designer A-Z, Köln/Paris, Taschen, , 654 p. (ISBN 978-3-8365-4302-6, présentation en ligne), « Yves Saint laurent », p. 514
  2. a b c d e et f (en) Design Museum et Paula Reed, Fifty fashion looks that changed the 1960s, Londres, Conran Octopus, , 114 p. (ISBN 978-1-84091-604-1), « Le Smoking 1967 », p. 70 à 71
  3. a b c et d Farid Chenoune, Florence Müller, Jéromine Savignon et Bernard Blistène, Yves Saint Laurent : [exposition, Petit Palais-Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, 11 mars-29 août 2010], Paris/Paris, La Martinière, , 384 p. (ISBN 978-2-7324-4078-1), p. 142
  4. a b et c Marie-Christine Lasnier, « Yves Saint Laurent, musée du Petit Palais », sur nationetrepublique.fr, (consulté le ) : « Un smoking Saint Laurent noir […] c’était un vêtement de style et non un vêtement de mode passagère. »
  5. a et b Smet 2014, p. 79.
  6. Smet 2014, p. 79 à 80.
  7. a b et c (en) « Le Smoking », Vogue (consulté le )
  8. a et b Smet 2014, p. 80.
  9. a et b Jérômine Savignon et Gilles de Bure (préf. Pierre Bergé), Saint Laurent rive gauche : la révolution de la mode, Paris, Éditions de La Martinière, , 155 p. (ISBN 978-2-7324-4519-9), p. 35
  10. Smet 2014, p. 80 à 81.
  11. Smet 2014, p. 81.
  12. (en) Justine Picardie, « New York doll », sur telegraph.co.uk, The Daily Telegraph, (consulté le )
  13. a et b Pierre-Dominique Burgaud, Alain Chamfort et Robert Murphy, Une vie Saint Laurent, Albin Michel, , 96 p. (ISBN 978-2-226-18182-4 et 2-226-18182-2), p. 40-43
  14. (en) Horacio Silva, « Fashion Scandals! », Fashion, sur wmagazine.com, Condé Nast, (consulté le ) : « New York socialite Nan Kempner had outraged society when she wore an Yves Saint Laurent tuxedo to Manhattan’s La Côte Basque (the maître d’ told her she could not enter wearing trousers, so Kempner doffed her pants and dined only in her jacket); »
  15. Laurence Benaïm, Yves Saint Laurent : Biographie, Le Livre de poche, (1re éd. 1995), 928 p., poche (ISBN 978-2-253-13709-2), « L'esprit Rive Gauche... », p. 281
  16. a et b Florence Evin, « Un homme qui aimait la femme », Disparitions, sur lemonde.fr, Le Monde, (consulté le ) : « smoking bermuda avec blouse de cigaline (1968), smoking combinaison de gabardine (1975), ou smoking spencer sur dentelle noire (1978), mais aussi robe-smoking (1983), manteau-smoking (1984), smoking-kimono (1992), smoking-knickers (1993), cape-smoking (1998), etc. »
  17. Philippe Azoury, « Smoking Girls », Obsession, no 7,‎ , p. 118 à 122 (ISSN 0029-4713, lire en ligne)
  18. « YSL présente "Smoking forever" », Culture, sur nouvelobs.com, Le Nouvel Observateur, (consulté le ) : « Une des créations les plus emblématiques du couturier Yves Saint Laurent. »
  19. [image] « Yves Saint Laurent forever », Style, sur lexpress.fr, L'Express, (consulté le )

Presse modifier

  • Séverine de Smet, « 31 juillet 1966, le jour où… Saint Laurent présenta Le Smoking », Le Nouvel observateur, no 2594,‎ , p. 78 à 81 (ISSN 0029-4713).  

Annexes modifier

Exposition modifier

Article connexe modifier

Liens externes modifier