Hamiltonien de Heisenberg

Dans la théorie du magnétisme quantique, l'hamiltonien de Heisenberg décrit un ensemble de moments magnétiques localisés en interaction. Cet hamiltonien s'écrit :

est le magnéton de Bohr, est le rapport gyromagnétique du i-ème moment localisé, est un opérateur de spin, est le champ magnétique externe, et est la constante d'échange. Pour l'interaction est antiferromagnétique et pour elle est ferromagnétique. En général, les sites i sont placés sur les nœuds d'un réseau régulier. Une exception est le cas des verres de spin où les moments magnétiques sont des impuretés magnétiques diluées dans un métal non-magnétique (par exemple du fer dilué dans de l'or ou du manganèse dans du cuivre).

Dans un système sur un réseau biparti formé de deux sous-réseaux A et B, si les spins n'ont pas tous des identiques, par exemple si sur le sous-réseau A et sur le sous-réseau B on parlera d'un modèle ferrimagnétique.

Un concept important dans l'analyse du modèle de Heisenberg est celui de frustration. On dit qu'il y a frustration lorsqu'il n'est pas possible de minimiser indépendamment chaque terme . Ce cas peut se présenter soit dans les verres de spin, soit dans des modèles antiferromagnétiques sur le réseau triangulaire ou le réseau Kagomé. Dans ce dernier cas on parle de frustration déterministe.

Historique modifier

Cas des isolants modifier

Dans un isolant, l'interaction d'échange décroît exponentiellement avec la distance entre les spins localisés car elle dépend du recouvrement des orbitales. On peut donc se restreindre à des interactions uniquement entre les spins premiers voisins ou entre premier et second voisins. En général, l'interaction est due à un mécanisme de super-échange. Elle est le plus souvent antiferromagnétique. Les règles de Goodenough-Kanamori permettent de prédire le signe des interactions de super-échange dans les oxydes. Si les liaisons entre les ions magnétiques et les ions oxygène font des angles d'environ 180°, l'interaction d'échange entre les ions magnétiques sera antiferromagnétique. Si les angles sont de 90°, les interactions seront ferromagnétiques.

Cas des verres de spin modifier

Pour des impuretés diluées dans un métal (le cas des verres de spin), l'interaction   est une interaction de Ruddermann-Kittel-Kasuya-Yosida médiée par les électrons de conduction qui décroît avec la distance   entre les impuretés comme   et son signe alterne. Il en résulte en particulier que dans un verre de spin, les moments magnétiques n'ont aucune configuration qui minimise toutes les énergies d'échange existantes entre ces moments magnétiques. On parle de frustration. Pour décrire ces interactions aléatoires entre les moments magnétiques, on considère des modèles simplifiés où les ions magnétiques sont placés sur un réseau régulier mais les énergies d'échanges sont aléatoires. Lorsque les interactions aléatoires sont uniquement entre premiers voisins on parle d'un modèle d'Edwards-Anderson. Lorsque les interactions aléatoires sont de portée infinie, on parle d'un modèle de Sherrington-Kirkpatrick (en).

Généralisations modifier

Anisotropies modifier

Dans un cristal, la symétrie est réduite à un groupe d'espace. De ce fait, les interactions entre les spins ne possèdent pas forcément l'invariance par le groupe SU(2). Pour pouvoir décrire correctement les propriétés magnétiques, il devient nécessaire d'utiliser une généralisation du modèle de Heisenberg contenant des termes d'anisotropie.

Single ion modifier

Dans le cas où les spins  , les termes   ne se réduisent pas à des constantes. Dans un cristal de symétrie suffisamment basse, il peut donc exister dans le hamiltonien magnétique des termes de la forme :

 

où on peut supposer que  , puisque  . Ces termes sont appelés "single-ion anisotropy". Si  , ils tendent à empêcher l'aimantation de s'aligner sur la direction  .

Échange anisotrope modifier

Il est également possible de rencontrer des interactions de la forme :

 

Dans le cas le plus général, ce modèle est appelé modèle XYZ. Dans le cas où  , et il existe au moins une valeur de n pour laquelle  , on parle de modèle XXZ (les directions X et Y étant équivalentes). Lorsque  , on parle de modèle XY. Si de plus,  , on parle de modèle XX ou XX0. Dans le cas où l'interaction est limitée aux premiers voisins, si  , le système aura tendance à s'aimanter selon la direction z qui est appelée l'axe facile. Dans le cas XXZ, avec  , le système s'aimante plutôt dans le plan XY qui est appelé plan facile.

En 1956, Takeo Matsubara et Hirotsugu Matsuda[1],[2] ont montré que dans le cas d'un spin 1/2, le modèle XXZ est équivalent à un modèle de bosons sur réseau avec répulsion de cœur dur et interaction à deux corps mesurée par  .

L'apparition d'une aimantation dans le plan dans le modèle XXZ équivaut à la condensation de Bose (ou superfluidité des bosons) tandis que l'apparition d'une aimantation alternée dans le modèle magnétique correspond à un ordre de charge des bosons.

Dans le cas du spin-1/2, le modèle XYZ est intégrable en une dimension[3],[4]. Lorsque le modèle se réduit au modèle XXZ, l'état fondamental est un liquide de Luttinger, pour  ou en présence de champ magnétique. Pour  , et en l'absence de champ magnétique, un ordre antiferromagnétisme avec aimantation alternée selon l'axe z est obtenu. Pour  , on trouve un ordre ferromagnétique.

Dans le cas général, avec   dans l'état fondamental, les moments s'ordonnent selon l'axe   qui maximise  .

Dzyaloshinskii-Moriya modifier

Lorsqu'il existe une interaction spin-orbite, il est possible de trouver un hamiltonien magnétique contenant des termes de la forme :

 , appelés termes de Dzyaloshinskii-Moriya[5],[6].

La présence de ces termes tend à imposer un angle entre les moments magnétiques différent de zéro ou cent-quatre-vingt degrés. En particulier, elle donne lieu dans un milieu antiferromagnétique au ferromagnétisme faible.

Kaplan[7], Shekhtman, Entin-Wohlmann et Aharony[8] ont montré que si les interactions entre électrons possèdent la symétrie SU(2), cette symétrie étant préservée dans le hamiltonien magnétique, il existe aussi nécessairement un terme d'anisotropie supplémentaire dans le hamiltonien, de la forme  , où   est un tenseur de rang 2 symétrique.

Échange cyclique modifier

Dans le cas de 3He solide, il est possible d'avoir des échanges à trois ou quatre particules. On doit alors généraliser l’hamiltonien de Heisenberg en ajoutant des termes d'échange cyclique faisant intervenir respectivement trois ou quatre spins.

Limite classique modifier

Références modifier

  • L. P. Lévy Magnétisme et supraconductuvité (EDP Sciences)
  • P. W. Anderson Basic Notions of Condensed Matter Physics (Addison-Wesley)
  • K. Fischer et J. A. Hertz Spin Glasses (Cambridge University Press)
  • J. M. Ziman Principles of the Theory of Solids (Cambridge University Press)
  • D. C. Mattis Theory of magnetism (Springer)
  • R. M. White Quantum Theory of Magnetism (Academic Press)

Notes et références modifier

  1. (en) Takeo Matsubara et Hirotsugu Matsuda, « A Lattice Model of Liquid Helium », Progress of Theoretical Physics, vol. 16, no 4,‎ , p. 416–417 (ISSN 0033-068X, DOI 10.1143/PTP.16.416, lire en ligne, consulté le )
  2. (en) Takeo Matsubara et Hirotsugu Matsuda, « A Lattice Model of Liquid Helium, I », Progress of Theoretical Physics, vol. 16, no 6,‎ , p. 569–582 (ISSN 0033-068X, DOI 10.1143/PTP.16.569, lire en ligne, consulté le )
  3. Michel Gaudin, La Fonction d'onde de Bethe, Masson, coll. « Collection du Commissariat à l'énergie atomique », (ISBN 978-2-225-79607-4, lire en ligne)
  4. Rodney J. Baxter, Exactly solved models in statistical mechanics, Academic press, (ISBN 978-0-12-083180-7, lire en ligne)
  5. (en) I. Dzyaloshinsky, « A thermodynamic theory of “weak” ferromagnetism of antiferromagnetics », Journal of Physics and Chemistry of Solids, vol. 4, no 4,‎ , p. 241–255 (DOI 10.1016/0022-3697(58)90076-3, lire en ligne, consulté le )
  6. (en) Tôru Moriya, « Anisotropic Superexchange Interaction and Weak Ferromagnetism », Physical Review, vol. 120, no 1,‎ , p. 91–98 (ISSN 0031-899X, DOI 10.1103/PhysRev.120.91, lire en ligne, consulté le )
  7. T. A. Kaplan Zeitschrift fur Physik B 49, 313 (1983).
  8. L. Shekhtman, O. Entin-Wohlman et A. Aharony Phys. Rev. Lett. 69, 836 (1992).