Fermeture paysagère

La fermeture paysagère ou fermeture du paysage correspond au phénomène de progression du couvert des arbres et de la forêt dans les zones jusqu'alors « ouvertes », dévolues à l'agriculture (champs ou élevage). La « fermeture » est celle de l'ampleur visuelle des paysages.

Fermeture du paysage en Haute-Vienne : ancienne table d'orientation de la Pierre du Roi (Saint-Sulpice-Laurière) dont le panorama est entravé par la pousse des arbres.

Elle est le fait de facteurs concomitants, pouvant être écologiques et climatiques, liés à l'économie de la forêt et de l'agriculture, à la démographie.

Cette expression renvoie donc à la fois à une dynamique végétale, à un phénomène socio-économique et à une perception sensorielle du paysage.

En France, la légitimité, l'objectivité et la précision de la notion sont en débat, tenant notamment à la responsabilité institutionnelle et scientifique du concept.

Définition modifier

Le concept de « fermeture paysagère » est développé en géographie et dans le paysagisme, et employé dans l'ensemble des sciences sociales et naturelles relatives à la ruralité, à l'agriculture et à la forêt.

Il s'applique souvent aux territoires de moyenne montagne touchés par la déprise agricole car la mécanisation ne pouvait s'y appliquer, et où la friche spontanée ou la plantation forestière sont à l'œuvre dans la modification du paysage. L'abandon du prélèvement de bois de chauffage est un autre paramètre qui peut faciliter la fermeture paysagère[1].

Histoire modifier

Le concept naît avec les profonds bouleversements qui touchent les espaces ruraux après la Seconde guerre mondiale, marqués notamment par la Loi d'orientation agricole de 1962 qui consacre la modernisation de l'activité et le recentrage des activités sur les zones les plus productives. Dans un contexte d'exode rural qui dans certaines régions, dure depuis le milieu du XIXe siècle, cet acte contribue encore à l'abandon de nombreuses parcelles. Dans le même temps, des lois d'orientation forestière (1946, 1963) et la mise en place du Fonds forestier national favorisent l'économie sylvicole et contribuent à l'augmentation des surfaces boisées[2].

La notion de « fermeture paysagère » apparaît explicitement au moment où le paysage entre dans les politiques publiques d'aménagement, dans les années 1970. Le paysagiste Jacques Sgard, associé à l'Institut national de la recherche agronomique et à l'École nationale supérieure des sciences agronomiques appliquées d'une part, et d'autre part l'agronome Bernard Fischesser, associés à d'autres spécialistes, auteurs d'une étude sur le paysage de montagne, regrettent la progression des arbres et des friches, qu'ils perçoivent comme une atteinte à la qualité des agrosystèmes et des paysages[3]. Des écrits médiatisés entretiennent cette idée d'un phénomène à la fois irrépressible et dommageable, comme La France en friche d'Éric Fottorino (1989), tandis que de premières mesures censées y répondre sont mises en place, comme les mesures agroenvironnementales de la Politique agricole commune[4]. Dans les années 1990, si les débats s'apaisent en partie et la notion achève son institutionalisation, le concept demeure toutefois au cœur de nombreuses discussions relatives à la qualité paysagère et l'aménagement rural.

Conséquences modifier

Menacés par la fermeture des paysages, les points de vue panoramiques et sites équipés d'une table d'orientation peuvent inversement contribuer à l'entretien des paysages et au contrôle des boisements[5].

La fermeture des paysages peut être traitée sous l'angle de ses conséquences en termes de biodiversité, mais aussi à la lumière de la valeur identitaire et touristique des espaces ouverts, généralement jugés positivement par les visiteurs[1].

Fixées en France par le Code forestier dans les régions soumises à un fort risque de feu de forêt, les obligations légales de débroussaillement (OLD) peuvent contribuer à encadrer l'enfrichement et la fermeture des paysages[6].

Parmi les réponses à l'enfrichement, l'entretien des sentiers, l'écobuage ou le renforcement de la gestion forestière sont formulés aléatoirement par les acteurs locaux[7].

La mise en place d'un observatoire du paysage peut faciliter l'analyse et la compréhension du processus[8],[9].

Exemples modifier

En France, le Massif central, territoire de basse et moyenne montagne en proie à la déprise agricole et démographique, est régulièrement cité en exemple pour l'importante dynamique de fermeture paysagère qui caractériserait depuis le milieu du XXe siècle. La plantation massive de pins sur les Landes de Gascogne aux XIXe et XXe siècles relève aussi d'une fermeture paysagère coordonnée.

D'autres espaces sont concernés, comme les zones de piémont pyrénéen[10], la Sierra Nevada[11], les Landes de Lanvaux en Bretagne[12].

Analyse modifier

La perception souvent négative du concept de « fermeture paysagère » tient selon certains géographes à la patrimonialisation des paysages, indépendamment de leur valeur écologique ou économique[13].

Il s'agit d'une notion subjective, qui laisse entendre que le maintien de paysages ouverts feraient d'eux des « bons » paysages[14].

Des enquêtes menées auprès des différents acteurs et usagers du territoire montrent que les représentations de la fermeture paysagère varient et jouent un rôle dans les dynamiques de gestion, au côté des critères économiques ou naturalistes, et qu'elles sont souvent fonction de distinctions sociales et professionnelles[7].

Références modifier

  1. a et b Claudine Friedberg, Marianne Cohen et Nicole Mathieu, « Faut-il qu’un paysage soit ouvert ou fermé ? L’exemple de la pelouse sèche du causse Méjan », Natures Sciences Sociétés, vol. 8, no 4,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  2. Deuffic, p. 77.
  3. Deuffic, p. 78.
  4. Deuffic, p. 79.
  5. Michel Périgord, Le paysage en France, Paris, Presses universitaires de France, , p. 33.
  6. Office national des forêts, « Foire aux questions : les obligations légales de débroussaillement (OLD) », sur onf.fr (consulté le ).
  7. a et b S. Le Floch, P. Deuffic et L. Ginelli, « La question sociale de la fermeture du paysage : synthèse d’une enquête dans le Parc National des Pyrénées », Convention PNP-Cemagref n° 2002-08S,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  8. Anne Badrignans et Eszter Czobor, « La vie idéale de l’Observatoire Photographique du Paysage », sur parcs-naturels-regionaux.fr, (consulté le ).
  9. Romy Baghdadi, « 20 ans d’Observatoire photographique des paysages dans le Parc naturel régional des Vosges du Nord », Projets de paysage, no 15,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  10. Thomas Houet, Laure Vacquié, Franck Vidal et Didier Galop, « Caractérisation de la fermeture des paysages dans les Pyrénées depuis les années 1940. Application sur le Haut-Vicdessos », Sud-Ouest européen, no 33,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  11. Martin Paegelow et Maria-Teresa Camacho Olmedo, « Processus d'abandon des cultures et dynamique de reconquête végétale en milieu montagnard méditerranéen : l'exemple des Garrotxes (P.O., France) et de la Alta Alpujarra Granadina (Sierra Nevada, Espagne) », Sud-Ouest européen, vol. 16,‎ , p. 113-130 (lire en ligne, consulté le ).
  12. Estelle Ducom, « La dynamique spatiale d’un « vide » breton : les landes de Lanvaux depuis la fin du XIXe siècle », Mappemonde, no 71,‎ , p. 19-24 (lire en ligne, consulté le ).
  13. Brossard, Joly et Pierret, p. 17.
  14. « Paysage ouvert et fermé, tiers paysage », sur Géoconfluences, 2004-2022 (consulté le ).

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Bibliographie modifier

  • Thierry Brossard, Daniel Joly et Pascal Pierret, « Déprise agricole et fermeture des paysages », Mappemonde,‎ , p. 17-21 (lire en ligne, consulté le ).
  • Sophie Le Floch, Anne-Sophie Devanne et Jean-Pierre Deffontaines, « La « fermeture du paysage » : au-delà du phénomène, petite chronique d'une construction sociale », L'Espace géographique, vol. 34, no 1,‎ , p. 49-64 (lire en ligne, consulté le ).
  • Philippe Deuffic, « La fermeture des paysages dans le Massif central : regards d’habitants sur une question d’experts », Cahiers d'Economie et sociologie rurales, no 75,‎ , p. 75-96 (lire en ligne, consulté le ).