Esther (Racine)

tragédie de Jean Racine

Esther
Édition originale, 1689
Édition originale, 1689

Auteur Jean Racine
Genre tragédie
Nb. d'actes 3 actes en vers
Lieu de parution Paris
Éditeur Denys Thierry
Date de parution 1689
Nombre de pages 145
ISBN 2-03-034783-3
Date de création en français
Lieu de création en français Paris
Compagnie théâtrale Saint-Cyr
Chronologie

Esther est une tragédie de Jean Racine, en trois actes et en vers avec chœurs. Elle est représentée pour la première fois le à Saint-Cyr.

Résumé modifier

  • Acte 1 (5 scènes) - Après une introduction à la gloire de Louis XIV et de Madame de Maintenon, Esther raconte à une amie comment elle est devenue la préférée d’Assuérus. Elle a même sauvé le roi en dévoilant un complot avec l’aide de Mardochée, son père adoptif. Mais, Mardochée vient justement lui annoncer que le roi, conseillé par Aman, va faire connaitre un arrêt visant à mettre à mort, quelques jours plus tard, tous les Juifs du royaume perse.
  • Acte 2 (8 scènes) - Aman raconte que les Juifs ont toujours persécuté le peuple amalécite, dont il fait partie. Toutefois, ce n’est pas cette raison qui le pousse à éliminer le peuple juif, mais le manque de respect de Mardochée, qui tous les jours, à l’entrée du palais, refuse de le saluer. À ce moment-là, Assuérus apprend comment Mardochée l’a sauvé autrefois d’un complot. Il fait porter Mardochée en triomphe par Aman. Esther, qui cherche à sauver le peuple juif, auquel elle appartient, demande à Assuérus de venir dîner chez elle avec Aman.
  • Acte 3 (9 scènes) - Aman est furieux d’avoir dû porter Mardochée en triomphe. Il prend toutefois son invitation chez Esther comme une marque de faveur. Mais, Esther révèle à Assuérus qu’elle est juive, que son peuple ne complote pas contre lui et que c’est pour des raisons personnelles qu’Aman veut les faire mourir. Assuérus donne alors à Mardochée la place d’Aman, et Aman est mis à mort par le peuple. Esther et les Juifs sont libérés !

L’œuvre et son contexte modifier

Depuis Phèdre (1677), Racine n’écrit plus pour le théâtre : il se consacre essentiellement à son rôle d’historiographe de Louis XIV. Il s’est également replongé dans la foi janséniste au point de se rallier à leur vision du théâtre, qu’ils considèrent comme un art impur, et de défendre à son fils d’assister à des pièces profanes. Il peut donc paraître surprenant que Racine écrive, en 1689, une nouvelle pièce de théâtre, Esther. Afin de comprendre cet apparent paradoxe, il est nécessaire de souligner deux éléments : tout d’abord, Racine fait avec cette pièce un acte de courtisanerie puisqu’elle lui est commandée par Madame de Maintenon (épouse secrète de Louis XIV) ; de plus, il accomplit un acte de piété en choisissant un thème biblique tiré du Livre d'Esther; et son apologie de la tolérance religieuse invite également à réfléchir sur la révocation de l’Édit de Nantes.

Une pièce de commande modifier

 
Racine faisant répéter Esther.

Madame de Maintenon vient de créer la Maison royale de Saint-Louis pour des jeunes filles nobles mais sans fortune. Fidèle aux conceptions jésuites, elle est convaincue de la valeur pédagogique du théâtre. C’est ainsi que les jeunes filles se retrouvent tout d’abord à interpréter Cinna. Mais la ferveur avec laquelle elles jouent les scènes de passion amoureuse entraîne l’arrêt des représentations. Madame de Maintenon fait donc appel à Racine pour qu’il écrive sur « quelque sujet de piété et de morale, une espèce de poème où le chant fût mêlé avec le récit ». Cette commande permet à Racine de mêler dans son œuvre le chant et le récit et de rapprocher ainsi la tragédie et la tragédie lyrique (c'est-à-dire l’opéra français, créé en 1673 par Jean-Baptiste Lully). Mais elle lui permet également de renouer avec cette tradition issue des anciennes tragédies grecques qui consistait à mêler le chant à l’action, ce qu’il fait ici grâce au personnage d’Élise (qui a le double rôle de coryphée et de confidente). La musique en est confiée à Jean-Baptiste Moreau.

Les premières comédiennes, à Saint-Cyr modifier

Les jeunes filles choisies par Mme de Maintenon et Racine se nommaient :

  • Lucie de Fontenelle, « belle comme le jour », dans le rôle d'Assuérus,
  • Anne de Grandcan « possédait de l’esprit et une figure convenable à son personnage ». Elle joue le rôle d’Esther, rôle qui est repris ensuite par la marquise de Caylus. -
  • Charlotte d’Abancourt, « un peu plus âgée, est fort jolie, intelligente et bonne comédienne », dans le rôle d'Aman.
  • Claire de Marcilly, « faite pour le monde », dans le rôle de Zarès
  • Madeleine de Glapion, « une grande et belle personne...dont la voix allait jusqu'au cœur », dans le rôle de Mardochée.
  • Victoire de la Maisonfort, dans le rôle d'Élise.
  • Mlle de Mornay, dans le rôle d'Hydaspe.

Madame de Maintenon fut tellement satisfaite de l'œuvre de Racine (Esther) qu'elle en commanda une seconde qui fut la dernière pièce de Racine (Athalie).

Une tragédie sacrée modifier

En choisissant ce sujet, Racine ne se contente pas d’aller dans le sens d’une inclination croissante de Louis XIV et de Madame de Maintenon vers la dévotion, il rejoint également ses propres aspirations religieuses : « tout respire ici Dieu, la paix, la vérité ». Ce texte permet en effet d’illustrer le concept de la providence (théorisé en 1681 par Bossuet) selon lequel Dieu gouvernerait au destin des siens et il illustre également une double fidélité : celle des Juifs envers Dieu et celle de Dieu envers son peuple élu. Par ailleurs, Esther est un modèle de pureté, de perfection féminine, de piété et de dévouement à son peuple ; autant de qualités que Mme de Maintenon souhaite voir inculquer à ses protégées. Du texte biblique le Livre d'Esther, Racine supprime tout de même le début et la fin (le refus de Vasthi de se présenter devant le roi en portant le diadème et le massacre des persécuteurs). Sur le plan des modifications apportées au texte religieux, il faut également noter l’importance que Racine ajoute au personnage de Mardochée. C’est lui qui dans la pièce pousse Esther sur le trône de Perse pour libérer les Juifs de leur esclavage : il dispose d’une vision politique à long terme. Il devient même une sorte de prophète inspiré par Dieu, un bras de Dieu (ce qu’il n’est pas dans la Bible). Comme Abraham, il voue une confiance totale à son Dieu.

L’épisode d’Esther permet de mettre en scène un Dieu qui sauve son peuple par l’intermédiaire des plus faibles. Nous assistons à la confrontation de l’Innocence et de la Faiblesse face à la Force et à la Perfidie selon un schéma fortement teinté de manichéisme. Le revirement du roi n’a également aucune explication psychologique plausible, seule la grâce semble le pousser à la décision finale.

Dramaturgie modifier

Dans cette pièce, Racine respecte le système aristotélicien : exposition (I, 1), nœud (le décret I, 3), rebondissement (II, III, 4) et dénouement par renversement (III, 5 à 7). Il ménage également un important effet de suspense après la révélation d’Esther, lorsque Assuérus ne réagit pas immédiatement et sort de la salle. Les chants, quant à eux, ne doivent pas être considérés comme de purs passages ornementaux, ils expriment les « Mystères de la religion » (Bossuet). Le chœur participe à l’action non en agissant mais en approfondissant l’émotion et en exprimant la crainte et la pitié du spectateur.

L’unité de temps est respectée par Racine. L’action se déroule en moins de vingt-quatre heures. Au matin, Mardochée apprend le sort réservé à son peuple et le repas qui retourne cette situation dramatique a lieu le soir même. Cependant, durant toute la pièce, des allusions ne cessent d’être faites sur des évènements extérieurs à cette journée. Il est ainsi souvent fait référence à l’histoire du peuple juif et à ses malheurs. Grâce à ces échos, l’aventure d’Esther se transforme en un condensé de l’histoire du peuple juif qui la rend plus dramatique, plus propre à émouvoir. Mais un autre temps imprègne toute la pièce : celui de l’époque de Racine. C’est ainsi qu’Assuérus et Esther ne pouvaient que faire penser à Louis XIV et à Mme de Maintenon pour les spectateurs de l’époque.

L’unité de lieu quant à elle n’est pas strictement respectée par l’auteur. L’action se déroule bien à Suse mais dans des lieux variés : « l’appartement d’Esther » pour l’acte I, la salle du trône d’Assuérus pour l’acte II, le jardin d’Esther et le salon où se déroule le repas pour l’acte III. Racine minimise toutefois cette diversité dans sa préface puisqu’il insiste sur le fait que « toute l’action se passe dans le palais d’Assuérus ». Il explique ces variations par la volonté de « rendre ce divertissement plus agréable à des enfants, en jetant quelque variété dans les décorations ». Cette pluralité de lieux ne semble cependant pas si innocente que cela puisqu’elle accompagne l’évolution de l’intensité dramatique. L’appartement d’Esther est un lieu intime, rassurant. La salle du trône imprègne l’atmosphère d’un caractère sérieux, officiel. C’est le lieu du pouvoir, du pouvoir d’un homme. C’est le lieu où un mot peut décider de la mort ou de la vie. Le dernier lieu marque la victoire d’Esther. C’est elle qui le choisit. En agissant ainsi, elle reprend en main son destin et prépare le dénouement heureux.

Cette pièce marque peut-être l’aboutissement de l’art théâtral racinien tant il parvient à y fondre dans une poésie puissante l’héritage antique de la tragédie, la mélodie envoûtante de l’opéra et la morale religieuse la plus stricte, le tout dans un respect irréprochable des préceptes aristotéliciens.

Au cinéma modifier

Dans le film Saint-Cyr (2000) de Patricia Mazuy, Esther de Racine est partiellement jouée par les jeunes filles de la noblesse, avec la musique de Moreau. Elle apparaît également dans le téléfilm L'Allée du Roi de Nina Companeez ainsi que dans le film Saltimbank (2003) de Jean-Claude Biette.

En musique modifier

Le compositeur israélien d’origine russe, Boris Yoffe a écrit un opéra pour solistes, chœur et orchestre de chambre, Esther (2006)[1] d’après l’œuvre de Racine (sur le texte en français).

Notes et références modifier

Annexes modifier

Sources primaires modifier

  • Esther, Tragédie de Jean Racine, Intermèdes de Jean-Baptiste Moreau, Édition d'Anne Piéjus, Société Française de musicologie, Paris, 2003 (ISMN : M-56004-025-7). Il s'agit du texte et de la partition.

Bibliographie modifier

Ouvrages modifier

  • Anne Piéjus, Le Théâtre des Demoiselles. Tragédie et musique à Saint-Cyr à la fin du Grand Siècle, Paris, Société française de musicologie, 2000. (ISBN-10. 285357010X)
  • Philippe Beaussant et Patricia Bouchenot-Déchin, Les plaisirs de Versailles : Théâtre et musique, Paris, Fayard, coll. « Les chemins de la musique », , 543 p. (ISBN 2213596573, OCLC 36884516, présentation en ligne), p. 116–122.
  • Clodomir Delfour, La Bible dans Racine, Paris, Leroux, 1891.
  • Jean Orcibal, La Genèse d'Esther et d'Athalie, Paris, Vrin, 1950.
  • Gabriel Spillebout, Le Vocabulaire biblique dans les tragédies sacrées de Racine, Genève, Droz, 1968.
  • René Jasinski, Autour de l'Esther racinienne, Paris, Nizet, 1985.
  • Lucien-Gilles Benguigui, Racine et les sources juives d'Esther et Athalie, Paris, L’Harmattan, 1995.

Articles modifier

  • B. Chédozeau, « La dimension religieuse dans quelques tragédies de Racine », Œuvres et critiques, XXIV-1, 1999, p. 159-180.

Articles connexes modifier

Liens externes modifier

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