En physique, on utilise souvent des espaces abstraits pour caractériser les phénomènes, ce sont des espaces des phases.

Dans le cas des ondes, l'espace des phases est l'espace des vecteurs d'onde. Une onde plane et monochromatique est entièrement caractérisée par son vecteur d'onde. Or, la diffusion Rayleigh transforme une onde plane monochromatique en une somme d'ondes planes monochromatiques ; l'amplitude diffusée selon un vecteur d'onde donné est le produit de l'amplitude incidente par une fonction du vecteur d'onde  :

correspond à la transformée de Fourier 3D de l'objet diffractant l'onde (voir théorie de la diffraction sur un cristal).

Du point de vue mathématique, les vecteurs d'ondes ont la spécificité d'être les vecteurs propres des transformations linéaires, homogènes et continues (pouvant se formuler à l'aide d'un produit de convolution). La solution de nombreux problèmes physiques peut donc s'écrire comme une somme d'ondes planes monochromatiques.

Si les opérations sur les vecteurs d'onde n'ont pas de traduction immédiate dans l'espace habituel (c'est une représentation dans l'espace des fréquences spatiales), son rôle en physique est essentiel. L'espace des phases a alors une correspondance avec l'espace direct, on parle d'espace réciproque.

De par les relations de Planck, l'espace des vecteurs d'ondes est l'espace des vecteurs impulsion et la représentation dans l'espace réciproque est duale de celle dans l'espace conventionnel . L'espace réciproque correspond à une représentation ondulatoire des objets (fréquentielle), duale de leur représentation corpusculaire (spatiale). Le célèbre principe d'incertitude de Heisenberg est l'expression physique du lien de dualité entre les deux représentations.

Un point remarquable est qu'un objet de type réseau cristallin est également un réseau du point de vue ondulatoire. On parle alors de réseau réciproque. L'espace réciproque est ainsi fréquemment utilisé en cristallographie et en physique du solide, ainsi qu'en diffraction dans le domaine optique.

Le vecteur d'onde modifier

La phase d'une onde varie en fonction du temps et de l'endroit considéré.

 

Pour simplifier, on prend   nul à l'origine   du repère. Le terme spatial s'exprime sous la forme d'un produit scalaire :

 

  est le vecteur reliant l'origine   ( ) au point considéré. La norme de   est   (en rad·m-1),   étant la longueur d'onde[1].

La « raison d'exister » du vecteur d'onde est le produit scalaire. Si l'on note   la fonction :

 

on voit que cette fonction est une forme linéaire ; l'ensemble de ces formes linéaires est un espace vectoriel isomorphe à l'espace des phases. De fait, l'espace des phases est un espace dual.

Physiquement, le vecteur d'onde   correspond à une description ondulatoire d'un objet (onde plane monochromatique) alors que le vecteur position   correspond à une description corpusculaire. Selon le principe d'incertitude de Heisenberg, les deux descriptions sont intimement liées et un objet réel ne peu qu'être approximativement décrit par l'une ou l'autre puisqu'il n'est ni monochromatique ni parfaitement localisé. Seule la fonction d'onde décrit complètement l'objet, et ce, quelle que soit la base utilisée (fréquentielle ou spatiale).

Diffusion Rayleigh et principe de Huygens d'une onde modifier

L'espace réciproque n'est utile que lorsque l'on considère une onde monochromatique. Cette onde est représentée par un vecteur   unique.

Lorsque cette onde interagit avec une particule, elle peut être diffusée de manière élastique, par diffusion Rayleigh. De manière générale, pour une onde plane, on peut considérer en tout point une diffusion isotrope selon le principe de Huygens.

Les vecteurs diffusés   ont la même norme que   mais une direction différente ; dans l'espace réciproque, leur extrémité forme une sphère de rayon  . On ne s'intéresse qu'à une direction de diffusion à la fois, donc à un seul vecteur  .

Considérons un centre de diffusion situé en  . Le déphasage spatial par rapport à l'origine est :

 

Si l'on s'intéresse au déphasage de l'onde diffusée en un point  , le déphasage spatial entre la source   et le point   vaut :

 

puisque l'onde a parcouru un chemin  . Le déphasage total en   vaut donc :

 

Si l'on pose :

 

on obtient :

 

On a donc un terme qui ne dépend que de la position du centre de diffusion, et un autre terme qui ne dépend que du point final considéré, ce qui simplifie les calculs.

Le vecteur   est appelé vecteur de diffraction.

Comme l'extrémité des vecteurs   est sur la sphère de centre   et de rayon  , l'extrémité des vecteurs   est sur la sphère dont le centre est la translation de l'origine par  , et de rayon  .

Conventions de notation pour l'article modifier

Dans les exemples suivants, nous considérons que l'espace est muni d'une base orthonormée directe  , ces vecteurs définissant respectivement les axes  ,   et  .

Le plan contenant les fentes d'Young, le réseau ou les lames de verre est le plan   ; l'axe des   est normal à ce plan.

Les composantes du vecteur   sont notées  ,   et  .

Exemples modifier

Exemple des fentes de Young modifier

Le problème des fentes de Young peut se traiter avec ce formalisme si l'on considère que l'onde incidente est plane et que l'écran est à l'infini.

On considère deux fentes de Young   et   séparées d'une distance   sur lesquelles arrive une onde incidente plane monochromatique de longueur d'onde   d'équation :

 

On choisit la fente du bas pour origine. Alors :

  • la fente   a pour coordonnées  ,
  • la fente   a pour coordonnées  ,
  • le vecteur d'onde incident   a pour coordonnées  .

En  , l'onde diffusée par la fente   vaut :

 

et celle diffusée par   vaut :

 

où on a posé  .

L'interférence des deux ondes diffusées donne :

 

L'amplitude de l'onde dépend du facteur de droite, donc du produit scalaire  . Si on considère une diffusion d'un angle   par rapport à l'incidence, on a :

 
 

donc :

 

On remarque ici que la pointe du vecteur   décrit un demi-cercle centré au point de coordonnées   et de rayon   (demi-cercle car  ).

 
Transposition dans l'espace réciproque du problème des fentes de Young pour   ; les points représentent les conditions de diffraction

Comme :

 

on a :

 

L'amplitude de l'onde est maximale lorsque   est un multiple de  . Comme  , on retrouve bien que :

  avec  

La condition de diffraction sur   est donc :

 

ainsi pour les conditions d'intensité maximale,   ne dépend que de   et pas de  .

Les conditions sur   peuvent donc se représenter de manière graphique dans l'espace des phases : l'extrémité du vecteur de diffraction se situe aux points d'intersection du demi-cercle de centre   et de rayon   avec les droites horizontales d'équation  .

On voit donc que les fentes de Young éclairées par l'onde incidente peut se représenter par un ensemble de points  , définissant l'extrémité des vecteurs   pour lesquels l'intensité est maximale.

 
Utilisation du réseau réciproque pour une incidence oblique

La construction du réseau réciproque prend en compte uniquement le vecteur de diffraction  , mais pas le vecteur d'onde incident   ; ainsi, si l'onde incidente était oblique, il suffirait de faire changer le centre du demi-cercle (qui se trouve toujours à la position   par rapport à l'origine) ; l'intersection de ce demi-cercle avec le réseau réciproque donnerait toujours les conditions de diffraction, c'est-à-dire permettrait de déduire les vecteurs   pour lesquels on a un maximum d'intensité.

On peut même s'afranchir de l'invariance par translation et travailler en trois dimensions, en considérant des rayons (incidents ou diffractés) hors du plan  . Le vecteur   pouvant prendre toutes les orientations, il décrit une demi-sphère, il en est de même pour le vecteur  . L'équation   est alors l'équation d'un plan ; les conditions de diffraction sont donc l'intersection de la demi-sphère correspondant au vecteur d'onde incident avec ces plans de l'espace réciproque. Ce sont donc des demi-cercles.

Ce réseau de plans horizontaux est le réseau réciproque des fentes de Young. On remarque que :

  • les plans du réseau réciproque sont perpendiculaires au vecteur de translation   entre les fentes ;
  • l'espacement des droites est inversement proportionnel à l'espacement des fentes.

Exemple du réseau de diffraction modifier

 
Réseau en réflexion

Considérons un réseau de diffraction optique de pas  .

Pour le calcul, on définit la fonction de l'onde diffractée par le   trait par

 

La fonction d'onde totale est donc :

 

Les conditions de diffraction sont similaires à celles des fentes de Young, seule change la largeur des raies. Le réseau réciproque est donc le même. Toutefois, on travaille fréquemment en réflexion. Dans ce cas-là, c'est le demi-cercle complémentaire qu'il faut envisager.

Exemple des interférences par une lame d'air modifier

 
Interférence par une lame d'air : perspective cavalière dans l'espace réel, vue de profil dans l'espace réciproque

Les interférences par une lame d'air sont créées par la réflexion selon deux plans parallèles séparées d'une distance  . On regarde les interférences « à l'infini ».

Soit   le vecteur normal aux plans et de longueur  . Considérons, pour simplifier, que les deux plans sont parallèles au plan  , et prenons deux rayons parallèles incidents de vecteur d'onde   frappant les plans à des points situés sur le même axe   (le déphasage est indépendant de la position sur le plan mais ne dépend que de la direction de diffusion). Si   est l'axe des  , on a  .

Le rayon frappant le plan superficiel est directement diffusé. Le rayon frappant le plan profond est diffusé après avoir subi un déphasage   :

 

Considérons un vecteur d'onde diffusé  . Sur un front d'onde donné (plan perpendiculaire aux vecteurs d'onde), le rayon diffusé par le plan profond subit encore un déphasage   :

 

Le déphasage total est donc :

 

L'interférence est constructive si :

 

c'est-à-dire si :

 

donc :

 

On voit donc que les conditions d'interférences constructrices sont représentées, dans l'espace des phases, par des plans parallèles à   et espacés de  .

Comme précédemment, pour un vecteur incident   donné, les conditions de diffraction sont données par l'intersection entre ces plans de l'espace réciproque et la sphère décrite par l'extrémité de  . Ces intersections sont des cercles ; si l'extrémité de   décrit un cercle, celle de   également, donc les rayons diffusés en conditions d'interférences constructrices donnent des cônes d'axe normal aux plans.


Note
Contrairement aux cas précédents, il n'y a plus ici d'invariance par translation selon l'axe des  , il faut donc se placer en trois dimensions.

On peut considérer un nombre « infini » de plan parallèles, et donc une sorte de réseau de plans. La différence serait alors la même qu'entre les fentes de Young et le réseau plan : les positions de diffraction sont les mêmes, seule change la largeur des raies.

Dans le cas où l'on considère une direction de diffusion symétrique à la direction d'incidence,   est normal aux plans, et si l'on note   l'angle entre le rayon incident et le plan alors :

 

et on retrouve la loi habituelle :

 

Association de réseaux modifier

Association de deux réseaux sur un même plan modifier

Il est possible d'associer les réseaux deux par deux ; les rayons doivent alors vérifier les deux conditions de diffraction, ce qui revient à prendre l'intersection des réseaux réciproques.

 
Diffraction par deux réseaux croisés : le réseau réciproque est une forêt de droites (en rouge)

Prenons par exemple deux réseaux plans d'orientation différente, c'est-à-dire un quadrillage du plan  . Les réseaux réciproques sont des plans perpendiculaires aux vecteurs de translation des réseaux. L'intersection entre deux plans non parallèles est une droite ; le réseau réciproque de ce quadrillage est donc une « forêt » de droites parallèles à  .

Pour un vecteur   donné, les directions dans lesquelles se trouvent les taches de diffraction sont déterminées par l'intersection entre la demi-sphère des   et cette forêt de droites.

On note   le premier réseau,   le vecteur de translation entre deux traits et normal aux traits,   le vecteur directeur unitaire des traits et   le réseau réciproque de plans. De même, on note   le second réseau,   son vecteur de translation,   son vecteur directeur unitaire et   le réseau réciproque de plans. On note également   ; le signe est choisi en fonction de l'orientation de   et de   afin que le trièdre   soit direct. On remarque que cette famille forme une base de l'espace.

Les plans de   sont perpendiculaires à   et espacés de  , ceux de   sont perpendiculaires à   et espacés de  . Si l'on définit une nouvelle base   :

 
 

(l'inversion des indices est purement conventionnelle et est expliquée ci-après), alors dans cette base, les plans de   ont pour équation :

 , avec   un entier,

et les plans de   ont pour équation :

 , avec   un entier,

et donc les droites représentant les conditions de diffraction ont pour équation :

 

Dans la pratique, on se réfère plutôt aux vecteurs directeurs des traits des réseaux, et on définit :

 
 
 

Le vecteur   n'a pas d'utilité pratique ici mais permet de définir de manière systématique une nouvelle base. L'inversion des indices est justifiée ici par une construction systématique de vecteurs de la base (permutation circulaire des indices).

Maintenant, considérons que   joint deux intersections de   et de  , idem pour  . Soit   le volume du parallélépipède formé par  ,   et  . On a :

 

On a alors :

 
 
 

Cette base   est appelée base réciproque. Elle est caractéristique des réseaux.

Réseaux sur des plans parallèles modifier

 
La superposition de réseaux plans est équivalente à un réseau de fils à trois dimensions, ou encore à un réseau de points.

On peut aussi prendre des plans parallèles portant tous un réseau identique, par exemple des plaques transparentes avec un réseau de traits réfléchissants (argenté). On choisit de prendre les plans parallèles à  , et les traits du réseau perpendiculaires à  .

Le réseau réciproque de ce montage est alors l'intersection entre les plans de l'espace réciproque, perpendiculaires à  , générés par la succession de plans réfléchissants, et les plans réciproques du réseau plan, perpendiculaires à  . Le réseau réciproque de ce montage est donc une série de droites parallèles à  .

On peut enfin envisager une succession de plans parallèles portant tous un quadrillage identique. Le réseau réciproque est l'intersection de trois réseaux de plans ; c'est donc un réseau de points. On voit que l'on obtient le même réseau de points dans l'espace réciproque pour plusieurs configurations dans l'espace réel, à partir du moment où les intersections des traits se trouvent au même endroit. Ce qui définit les directions dans lesquelles l'intensité est non nulle, ce sont les vecteurs  ,   et   définissant la maille élémentaire.

On peut définir comme précédemment les vecteurs  ,   et   de l'espace réciproque :

 

  est une permutation circulaire de  . Les vecteurs de diffraction   pour lesquels il y a diffraction vérifient :

 

 ,   et   sont des entiers. Le réseau réciproque est donc un réseau de points, les vecteurs  ,   et   définissant une maille élémentaire de ce réseau réciproque.

Base réelle et base réciproque modifier

Mathématiquement, la base réciproque est la base duale de la base de l'espace direct :

 

en utilisant la notation de Kronecker. On l'obtient donc par inversion matricielle, orthogonalisation vis-à-vis des autres vecteurs de base, ou produit vectoriel.

D'après les propriétés du produit vectoriel, on peut vérifier :

 , soit   et  
 , soit   et  
 , soit   et  

Par ailleurs, si   est une permutation circulaire de  , on a :

 [2]

Indexation du réseau réciproque et plans de l'espace réel modifier

Dans le cas d'un réseau de diffraction 3D (réseau de points dans l'espace), le réseau réciproque est également un réseau 3D. Chaque point du réseau réciproque ayant des coordonnées entières dans la base  , on peut indexer chaque point par ses coordonnées.

À chaque point du réseau réciproque sont donc associés trois indices, notés habituellement  , qui sont ses coordonnées.


Note
Jusqu'ici, les coordonnées entières étaient notées   afin d'éviter la confusion entre le vecteur d'onde   et l'indice réel  .

Nous avons vu que dans l'espace réel, ce qui importait, c'était le réseau de points, et que ces points pouvaient être les nœuds de quadrillages parallèles entre eux.

Prenons un point   de coordonnées   de l'espace réciproque. La droite  , passant par l'origine et par  , peut être vue comme l'image d'un réseau plan (cf. section Association de deux réseaux sur un même plan) ; ce réseau plan est porté par une famille   de plans parallèles.

Cette famille de plans de l'espace réel a pour image une famille de plans de l'espace réciproque (cf. section Exemple des interférences par une lame d'air). On peut donc dire que   représente une famille de plans parallèles équidistants ; plus   est éloigné de l'origine, plus les plans sont rapprochés.

Il est ainsi possible d'indexer les plans imaginaires contenant des nœuds du réseau réel : les plans associés à   portent les indices  .

On peut montrer que ces indices sont les Indices de Miller (voir cet article pour la démonstration).

Utilisation en cristallographie modifier

Un cristal est un réseau tridimensionnel d'atomes, d'ions ou de molécules. Chaque nuage électronique va provoquer de la diffusion Rayleigh, qui va être équivalent à la réflexion et à la transmission des réseaux de trait. Le cristal est donc en quelque sorte un réseau qui fonctionne en réflexion et en transmission.

Le lieu des extrémités des vecteurs de diffraction   est donc une sphère complète, et non une demi-sphère.

Notes modifier

  1. Dans certains cas, la phase, en radians, est écrite  , la norme du vecteur d'onde est alors  , c'est le nombre d'onde ; le coefficient   ne change rien (simple dilatation de l'espace).
  2. Si le coefficient 2π ne fait pas partie de la définition du vecteur d'onde, on a alors  .

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • J.-P. Eberhart, Méthodes physiques d'étude des minéraux et des matériaux solides, éd. Doin Éditeurs (Paris), 1976, pp 27, 52–58, 184–186, 477–479
  • B. D. Cullity, Elements of X-Ray Diffraction, éd. Addison-Wesley Publishing Co, 1956, pp 490–505
  • R. Jenkins, R. L. Snyder, X-Ray Powder Diffractometry, éd. Wiley -Interscience, 1996, pp 49–54

Articles connexes modifier