Encéphalite léthargique

variété rare d'encéphalite virale
Encéphalite léthargique
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Le premier qui décrivit un cas fut le Dr Constantin von Economo.

Traitement
Spécialité Infectiologie et neurologieVoir et modifier les données sur Wikidata
Classification et ressources externes
CIM-10 A85.8
CIM-9 049.8
DiseasesDB 32498

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L'encéphalite léthargique (EL) encore appelée encéphalite épidémique ou maladie de von Economo-Cruchet, est une variété rare d'encéphalite virale, qui a sévi dans le monde sur un mode épidémique au début du XXe siècle entre 1915 et 1926. Aucune autre épidémie d'EL n'a été observée depuis, mais des cas isolés continuent à être signalés au XXIe siècle[1],[2]. La maladie a été désignée sous le nom de « maladie du sommeil européenne » par opposition à la maladie du sommeil africaine ou trypanosomiase humaine africaine, transmise par la mouche tsé-tsé.

L'EL a été décrite simultanément par deux neurologues, le Français Jean-René Cruchet (1875-1959)[3] et l'Autrichien Constantin von Economo (1876-1931) en 1917[4]. Elle est connue pour laisser chez certains patients des séquelles neurologiques invalidantes et définitives : il s'agit d'un syndrome parkinsonien très akinétique, de sorte que les victimes ont l'apparence de statues, privées de parole et de mouvements[5].

Rôle hypothétique de l'encéphalite léthargique avant le XXe siècle modifier

L'historienne Laurie Winn Carlson a avancé l'idée que l'EL serait la cause des symptômes développés dans certaines communautés de Nouvelle-Angleterre dans les années 1690, qui aboutirent finalement au procès des sorcières de Salem. Elle écrit notamment : « En comparant les symptômes décrits par les colons du XVIIe siècle avec ceux de patients atteints par l'épidémie d'encephalitis lethargica du début du XXe siècle, une combinaison de symptômes émerge [qui] accrédite l'hypothèse selon laquelle les chasses aux sorcières de Nouvelle-Angleterre étaient une réponse à des comportements physiques et neurologiques inexpliqués résultant d'une épidémie d'encéphalite. »[note 1],[6]

Historique modifier

Un diagnostic rétrospectif suggère plusieurs épidémies historiques d'encéphalite léthargique.

  • En 1580, l'Europe a été frappée par une grave maladie fébrile et léthargique qui a entraîné des séquelles de type parkinsonien et d'autres séquelles neurologiques[7].
  • En 1673-1675, une grave épidémie similaire s'est produite à Londres, que Thomas Sydenham a décrite comme une febris comatosa (fièvre comateuse)[7].
  • En 1695, en Allemagne, une femme de 20 ans présente des crises oculogyres, un parkinsonisme, une diplopie, un strabisme et d'autres symptômes à la suite d'une crise de fièvre cérébrale somnolente, décrite par Albrecht de Hildesheim[7]
  • En 1712-1713, une grave épidémie de Schlafkrankheit (« maladie du sommeil ») s'est produite à Tübingen, en Allemagne, suivie dans de nombreux cas d'une lenteur persistante des mouvements et d'un manque d'initiative (aboulie)[7].
  • Entre 1750 et 1800, la France et l'Allemagne ont connu des épidémies mineures de coma somnolentum présentant des caractéristiques du parkinsonisme, notamment un hoquet hyperkinétique, des myoclonies, une chorée et des tics.
  • Entre 1848 et 1882, le neurologue parisien Jean-Martin Charcot documente de nombreux cas isolés de parkinsonisme juvénile, associés à une diplopie, une oculogyrie, une tachypnée, une rétropulsion et des troubles obsessionnels, qui étaient presque certainement d'origine post-encéphalitique[7].
  • En 1890 en Italie, à la suite de l'épidémie de grippe de 1889-1890, une grave épidémie de maladies somnolentes (surnommée la Nona) est apparue. Pour les quelques survivants de la Nona, le parkinsonisme et d'autres séquelles se sont développés dans presque tous les cas[7].
  • Entre 1915 et 1926, une pandémie mondiale d'encéphalite léthargique s'est déclarée, touchant près de cinq millions de personnes et en tuant plus d'un million[7],[8].

Causes modifier

Les causes de l'encéphalite léthargique (EL) sont incertaines[9]. Un courant moderne de la recherche a exploré la possibilité d'une origine autoimmune[5] et, séparément ou en relation avec une réponse immune, d'un lien avec des maladies infectieuses (virales ou bactériennes)[5], par exemple la grippe dans laquelle un lien avec l'encéphalite est clair[10]. Il a été largement établi que le parkinsonisme post-encéphalitique est l'évolution à long terme des nombreux cas d'EL ayant été enregistrés après l'épidémie de grippe espagnole de 1918. Les arguments en faveur d'une cause virale des symptômes de la maladie de Parkinson sont circonstanciels (épidémiologie et découverte d'antigènes du virus de la grippe chez les patients atteints d'EL), tandis que les arguments contre cette hypothèse sont négatifs (absence d'ARN viral dans le cerveau des patients atteints de parkinsonisme post-encéphalitique)[10]. Passant en revue la relation entre grippe et EL, McCall et coll. concluent en 2008 que, bien que « les arguments contre le rôle de la grippe soient moins décisifs que l'on ne le perçoit actuellement […], il y a peu d'éléments dans le sens d'un rôle de la grippe dans l'étiologie de l'EL et que presque 100 ans après l'épidémie d'EL son étiologie demeure énigmatique. »[note 2],[2] Ainsi, si les opinions sur la relation de EL avec la grippe demeurent partagées, la majorité de la littérature reste sceptique[2],[11].

En 2010, dans un important article de revue publié par Oxford University Press sur les points de vue historiques et contemporains sur l'EL, son éditeur, Joel Vilensky de l'Indiana University School of Medicine cite Pool, qui en 1930 écrivait : « Nous sommes obligés d'admettre que l'étiologie est encore obscure, l'agent causal encore inconnu, l'énigme pathologique encore non résolue »[note 3] et poursuit en offrant la conclusion suivante valable à sa date de publication : « Est-ce que le présent volume résout l'énigme de l'EL, qui […] a été considérée comme le plus grand mystère médical du XXe siècle ? Malheureusement non : mais des pistes sont certainement ouvertes ici, permettant d'avancer en direction de son diagnostic, de sa pathologie et même de son traitement[note 4],[12] ».

Après la publication de cette revue, un enterovirus a été observé dans des cas d'EL épidémiques[13]. Cette étude a été menée avec soin mais n'a malheureusement pas été reproduite, probablement en raison des limitations sévères concernant le matériel de l'encéphalite léthargique[8].

Après 100 ans de recherche, il est possible que l'encéphalite léthargique ait des causes multiples, ce qui pourrait expliquer le large éventail d'hypothèses étiologiques avancées au fil des ans[8]. Certains cas pourraient être d'origine auto-immune[8].

Description clinique modifier

L'encéphalite léthargique se manifeste par une fièvre élevée, une pharyngite, des céphalées, une vision double, une augmentation du temps de réaction aux stimulations, une inversion du cycle veille-sommeil, une catatonie et une léthargie[5]. Dans les formes sévères, les patients peuvent entrer dans un état pseudo-comateux, le mutisme akinétique. Ils peuvent aussi présenter des mouvements oculaires anormaux caractéristiques de l'affection, les crises oculogyres[14]. Les autres manifestations cliniques possibles sont un syndrome extrapyramidal, une faiblesse des membres supérieurs, des douleurs musculaires, un tremblement, une rigidité de la nuque et des troubles du comportement pouvant aller jusqu'à la psychose.

Un syndrome parkinsonien post-encéphalitique peut survenir chez environ un tiers des patients après la phase aiguë de l'encéphalite, parfois dans un délai d'une année.

 
Encephalitis lethargica. Its sequelae and treatment - L'encéphalite léthargique. Ses séquelles et son traitement. Par Constantin Von Economo, 1931. Page de garde

Personnalités touchées par la maladie modifier

Nom et date des premiers symptômes :

Littérature et cinéma modifier

La découverte que la L-DOPA était capable d'améliorer le syndrome parkinsonien séquellaire de l'EL est relatée par Oliver Sacks dans un livre intitulé Awakenings (L'Éveil), paru en 1973, ce livre sert de base à Harold Pinter dans une pièce en un acte, une sorte d'Alaska (A Kind of Alaska) jouée en 1982, avec l'actrice Judi Dench. Également inspiré du livre, un film de 1990 avec Robin Williams et Robert De Niro est sorti sous le titre de Awakenings (L'Éveil en version française). On trouve aussi des allusions à l'EL dans le roman The Sandman: Preludes and Nocturnes, selon des entretiens avec son auteur Neil Gaiman, bien que le nom de la maladie ne soit pas explicitement mentionné dans l'ouvrage. Le roman d'Agatha Christie "l'Affaire Prothéro" (1930), également publié sous le nom de "Meurtre au presbytère", évoque l'EL à plusieurs reprises ; il lui impute la déviance comportementale de l'un des protagonistes (le vicaire Hawes).

L'EL est aussi évoquée dans la série télévisée canadienne ReGenesis, dans les derniers épisodes de la deuxième saison.

En 2022, la série diffusée sur Netflix, Sandman s'organise dans sa première saison autour de l'épidémie d'EL, causée par la séquestration du roi des rêves.

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. « By comparing the symptoms reported by seventeenth-century colonists with those of patients affected by the encephalitis lethargica epidemic of the early twentieth century, a pattern of symptoms emerges [which] supports the hypothesis that the witch-hunts of New England were a response to unexplained physical and neurological behaviors resulting from an epidemic of encephalitis. »
  2. « the case against influenza [is] less decisive than currently perceived… there is little direct evidence supporting influenza in the etiology of EL," and that "[a]lmost 100 years after the EL epidemic, its etiology remains enigmatic. »
  3. « we must confess that etiology is still obscure, the causative agent still unknown, the pathological riddle still unsolved… »
  4. « Does the present volume solve the "riddle" of EL, which… has been referred to as the greatest medical mystery of the 20th century? Unfortunately, no: but inroads are certainly made here pertaining to diagnosis, pathology, and even treatment. »

Références modifier

  1. (en) Stryker Sue B., « Encephalitis lethargica: the behavior residuals », Training School Bulletin, vol. 22,‎ , p. 152–7
  2. a b et c (en) Reid AH, McCall S, Henry JM, Taubenberger JK., « Experimenting on the past: the enigma of von Economo's encephalitis lethargica », J Neuropathol Exp Neurol., vol. 60, no 7,‎ , p. 663–70 (PMID 11444794)
  3. Cruchet R, Moutier J, Calmettes A. « Quarante cas d'encéphalomyélite subaiguë » Bull Soc Med Hôp Paris 1917;41:614-6.
  4. (de) K. von Economo « Encepahlitis lethargica » Wiener klinische Wochenschrift 10 mai 1917;30:581-585. « Die Encephalitis lethargica » Leipzig and Vienna, Franz Deuticke, 1918.
  5. a b c et d (en) Dale RC, Church AJ, Surtees RA et al., « Encephalitis lethargica syndrome: 20 new cases and evidence of basal ganglia autoimmunity », Brain, vol. 127, no Pt 1,‎ , p. 21–33 (PMID 14570817, DOI 10.1093/brain/awh008, lire en ligne)
  6. (en) Laurie Winn Carlson. A Fever in Salem: A New Interpretation of the New England Witch Trials. Chicago: Ivan R. Dee, Publisher; 1999.
  7. a b c d e f et g (en) Oliver Sacks, Awakenings, Knopf Doubleday Publishing Group, (ISBN 978-0-307-83409-6, lire en ligne)
  8. a b c et d Leslie A Hoffman et Joel A Vilensky, « Encephalitis lethargica: 100 years after the epidemic », Brain, vol. 140, no 8,‎ , p. 2246–2251 (ISSN 0006-8950 et 1460-2156, DOI 10.1093/brain/awx177, lire en ligne, consulté le )
  9. (en) McCall, S., Vilensky, J.A., Gilman, S. et Taubenberger, J.K., « The Relationship Between Encephalitis Lethargica and Influenza: A Critical Analysis », J. Neurovirol., vol. 14, no 3, May,‎ , p. 177–185 (PMID 18569452, PMCID 2778472, DOI 10.1080/13550280801995445, lire en ligne, consulté le )
  10. a et b (en) Haeman, Jang, Boltz, D., Sturm-Ramirez, K., Shepherd, K.R., Jiao, Y., Webster, R. et Smeyne, Richard J., « Highly Pathogenic H5N1 Influenza Virus Can Enter the Central Nervous System and Induce Neuroinflammation and Neurodegeneration », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 106, no 33, August 10,‎ , p. 14063–14068 (PMID 19667183, PMCID 2729020, DOI 10.1073/pnas.0900096106, lire en ligne, consulté le )
  11. (en) Vilensky, J.A., Foley, P. et Gilman, S., « Children and Encephalitis Lethargica: A Historical Review », Pediatr. Neurol., vol. 37, no 2, August,‎ , p. 79–84 (PMID 17675021, DOI 10.1016/j.pediatrneurol.2007.04.012, lire en ligne, consulté le )
  12. (en) Vilensky, J.A. et Gilman, S., Encephalitis Lethargica : During and After the Epidemic, Oxford, ENG, Oxford University Press, , 336 p. (ISBN 978-0-19-045220-9 et 0-19-045220-X, lire en ligne), « Introduction »
  13. (en) Robert R. Dourmashkin, Glynis Dunn, Victor Castano et Sherman A. McCall, « Evidence for an enterovirus as the cause of encephalitis lethargica », BMC Infectious Diseases, vol. 12,‎ , p. 136 (ISSN 1471-2334, PMID 22715890, PMCID 3448500, DOI 10.1186/1471-2334-12-136, lire en ligne)
  14. (en) Vilensky JA, Goetz CG, Gilman S, « Movement disorders associated with encephalitis lethargica: a video compilation », Mov. Disord., vol. 21, no 1,‎ , p. 1–8 (PMID 16200538, DOI 10.1002/mds.20722)
  15. (en) Fuller Albright, Read Ellsworth, Uncharted Seas, Portland, Oregon, Kalmia Press, , 95 p. (ISBN 978-0318500584), xi-xii

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

Liens externes modifier