Emir Kusturica

acteur, producteur, réalisateur, scénariste et musicien serbe
Emir Kusturica
Fonction
Président du jury du festival de Cannes
Biographie
Naissance
Nom dans la langue maternelle
Немања Емир Кустурица ou Emir Nemanja KusturicaVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalités
française (depuis le )
serbeVoir et modifier les données sur Wikidata
Domicile
Formation
Académie du cinéma de Prague
Druga Gimnazija (en)
Academy of Performing Arts in Sarajevo (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Activités
Période d'activité
depuis Voir et modifier les données sur Wikidata
Conjoint
Maja Kusturica (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Enfant
Autres informations
A travaillé pour
Membre de
Académie des sciences et des arts de la République serbe
Association des écrivains de Serbie (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Instrument
Site web
Distinctions
Films notables

Emir Kusturica (API : /ˈku.stu.ri.tsa/ ; en serbe cyrillique : Емир Кустурица) est un cinéaste, acteur et musicien franco-serbe, né le à Sarajevo[a].

Il a notamment été deux fois récompensé par la Palme d'or au Festival de Cannes, pour Papa est en voyage d'affaires et Underground.

Biographie modifier

Identité et religion modifier

Emir Kusturica naît le à Sarajevo, en République socialiste de Bosnie-Herzégovine, qui faisait partie de la République fédérative socialiste de Yougoslavie.

Le New York Times l'interroge au début de la guerre en Bosnie-Herzégovine sur son identité et il répond : « Je suis un exemple vivant du mélange et de la conversion des Serbes en Bosnie. Mes grands-parents vivaient dans l’Est de l’Herzégovine. Ils étaient très pauvres. Les Turcs sont venus et ont apporté l'Islam. Il y avait trois frères au sein de la famille. L’un était chrétien orthodoxe. Les deux autres se sont convertis à l’islam pour survivre. »[1].

La famille du cinéaste est représentative de la pluralité ethnique de la Yougoslavie dont l'effritement la marginalise plus tard : les ancêtres d'Emir- Nemanja Kusturica sont des Serbes orthodoxes de Bosnie-Herzégovine[2]. Environ la moitié des habitants de Bosnie-Herzégovine sont adeptes de l'islam depuis la conquête ottomane des Balkans[2], alors qu'environ un tiers de la population est de confession orthodoxe et 15 % de confession catholique. Néanmoins, le réalisateur n'est pas intégré, dans son enfance, aux coutumes religieuses du pays[2]. Il est par ailleurs tenu à l'écart de tout culte religieux, son père étant non-croyant et communiste[2]. Ce dernier est également un ancien résistant à l'Allemagne nazie, intégré aux troupes armées, civiles et partisanes titistes.

Ces éléments sont à nuancer sérieusement : dans sa relativement longue « profession de foi »[3] publiée à peu près au même moment, Kusturica se définit comme yougoslave et « enfant de la Bosnie primitive ». Il précise même que « des nationalistes serbes » l'ont « menacé d'une nouvelle circoncision » après le succès de son film Papa est en voyage d'affaires, ce qui accrédite l'idée qu'il fut circoncis selon la coutume musulmane et comme le montre ce film dont le couple parental principal est musulman et fait circoncire leurs fils. Dans le même livre (chapitre « Nostalghia »), il indique que sa grand-mère paternelle était « fortement liée aux rites musulmans » et que sa famille « les a d'ailleurs conservés ».

En fait, Kusturica s'est toujours senti profondément yougoslave et c'est ce dernier terme qui définit sans doute le mieux son identité au moins jusqu'au début des années 2000.

Le jour de Đurđevdan (la Saint-Georges) en 2005, Emir Kusturica est baptisé à l’Église orthodoxe serbe sous le nom de Nemanja Kusturica (Немања Кустурица) dans le monastère de Savina, près de Herceg Novi, au Monténégro[4]. Ses détracteurs analysent ce geste comme une trahison de son passé musulman et une négation de ses racines, ce à quoi il répond : « Mon père était athée tout en se définissant comme serbe. D'accord, nous avons peut-être été musulmans pendant 250 ans, mais nous étions orthodoxes avant cela, tout en restant serbes. »[5].

Prague modifier

Le jeune Emir se passionne pour le cinéma : pour gagner de l'argent de poche, il travaille pour le cinéma de son quartier à Sarajevo où il assiste aux projections. Un ami de son père l’invite également sur le plateau des films officiels. Mais dans la banlieue de Sarajevo, le jeune homme joue au football, sort beaucoup et fréquente d’autres enfants que ses parents ne voient pas d’un bon œil. Inquiets pour son avenir, son père et sa mère, d’une famille respectable, décident de l’envoyer étudier à l’étranger. Il est envoyé chez sa tante à Prague et entre à l’académie du cinéma de la capitale tchécoslovaque : la FAMU. Élève brillant et appliqué, il y réalise deux courts métrages : Une partie de la vérité et Automne. Ses professeurs voient en lui un talent très prometteur, et plus tard, dans ses interviews, il rend hommage de nombreuses fois à son professeur de mise en scène : le Tchèque Otakar Vavra. Pendant ses années praguoises, Kusturica absorbe tous les grands classiques du cinéma, qu’ils soient russes, tchèques, français, italiens ou américains. Ces films marquent profondément son style à venir.

En 1978, Emir Kusturica réalise son court métrage de fin d’études Guernica, un film douloureux et faussement naïf sur l’antisémitisme vu par un petit garçon. Ce film obtient le Premier Prix du cinéma étudiant du Festival international du film de Karlovy Vary.

Sarajevo modifier

Avec ce premier trophée, il rentre alors à Sarajevo et y obtient un contrat à la télévision. Artiste anticonformiste, éloigné de la ligne du pouvoir central sur le cinéma, il réalise en 1979 le moyen métrage Les jeunes mariées arrivent (de), tiré d’un scénario d'Ivica Matić qui traite de l’inceste. Fortement influencé par l'œuvre d’Andreï Tarkovski, le film dérange par sa forme et son contenu audacieux. Il est interdit de diffusion. Kusturica conserve néanmoins son poste à la télévision et tourne l’année suivante son second film : Café Titanic, tiré d’une nouvelle du prix Nobel de littérature yougoslave Ivo Andrić. Avec ce film, il remporte le premier prix du Festival de la télévision yougoslave.

Il réalise son premier long métrage Te souviens-tu de Dolly Bell ?, la même année, sur la base d’un scénario coécrit avec le poète bosniaque Abdulah Sidran. Le film est semi-autobiographique, et raconte la difficulté pour un groupe d’enfants dans le Sarajevo des années 1960 de se confronter au rêve occidental sous le régime de Tito. Le cinéaste y révèle déjà ses talents de conteur, de portraitiste et de satiriste par son sens du détail poétique et son observation aiguisée des mœurs yougoslaves traditionnelles[6]. Le monde découvre ainsi le cinéma singulier du jeune Yougoslave grâce à l'obtention du Lion d'or de la Première Œuvre à la Mostra de Venise et du Prix de la critique au Festival du film international de São Paulo[6].

Kusturica travaille sur son deuxième film, Papa est en voyage d'affaires, avec le même scénariste dans l'optique de réaliser une trilogie sur sa ville natale. Le troisième volet ne verra pas le jour, mais ce deuxième film, qui témoigne de la douleur des familles séparées par l’arbitraire politique du régime de Tito, remporte à la surprise générale la Palme d'or au Festival de Cannes 1985 et rate la remise de prix, parce qu’il avait "un parquet à poser chez un ami". La récompense propulse cependant au niveau des plus grands ce jeune réalisateur de 31 ans. Pour évacuer la pression, Kusturica intègre pendant un an le groupe de musique de ses amis de Zabranjeno pušenje en tant que bassiste. Il fréquente en conséquence la scène musicale yougoslave et se lie d’amitié avec le plus grand auteur-compositeur et guitariste de rock national, Goran Bregović, devenu une star nationale dans toute l’ex-Yougoslavie avec le groupe Bijelo Dugme (Bouton blanc).

Les États-Unis modifier

La Palme d'or lui ouvre toutes les portes, notamment celles des producteurs internationaux. La Columbia s’intéresse à lui et lui propose un contrat mirobolant. Il hésite entre plusieurs scénarios dont un sur les Doukhobors. Finalement, un fait divers sur les gitans retient son attention et le pousse à travailler avec le journaliste Gordan Mihic afin d'élaborer l’histoire douloureuse et en partie authentique de Perhan dans Le Temps des Gitans. Mais l’œuvre, qui se veut plus une fable onirique qu’un portrait documentaire, trahit des accointances avec le réalisme magique, juxtaposant une description précise du mode de vie des Gitans à des éléments mythologiques, irrationnels et surnaturels (dons de voyance, de télékinésie, accouchement en lévitation...). Tous sont inhérents à la pensée superstitieuse et mystique des communautés tziganes. Cette pensée alimente par ailleurs fortement l’imaginaire du cinéaste pour ce film-là comme pour ses futures réalisations. Une fois monté, Le Temps des Gitans est présenté à Cannes où il obtient le Prix de la mise en scène en 1989. À l’issue du tournage, Kusturica est appelé à New York par le réalisateur américano-tchèque Miloš Forman, ancien collègue de la FAMU et président du jury cannois qui lui attribua la Palme à l'unanimité en 1985. Forman souhaite qu'il le remplace à son poste d'enseignant à l'université Columbia.

Aux États-Unis, un des élèves de Kusturica, David Atkins, lui propose un scénario qui devient Arizona Dream. Le cinéaste arrête l'enseignement et se consacre entièrement à la fabrication de cette œuvre, consacrée au rêve américain et à sa dure confrontation au réel. La conception douloureuse du film est rendue encore plus difficile par le début du conflit en Yougoslavie auquel le cinéaste assiste, impuissant, à des milliers de kilomètres. Le tournage est arrêté à de nombreuses reprises pour le laisser faire des allers-retours en Europe centrale et aider ses parents à faire face au conflit. Après le pillage de la maison familiale de Sarajevo et le vol de ses premiers trophées, Kusturica fait déménager ses parents au Monténégro[7]. Arizona Dream, interprété par Johnny Depp dont il reste très proche par la suite[8] mais aussi Jerry Lewis, Faye Dunaway et Vincent Gallo est tout de même achevé et obtient l'Ours d'argent au Festival de Berlin 1993.

Belgrade modifier

 
Emir Kusturica à Bruxelles en 2005.

Extrêmement choqué par les événements en Bosnie et par la manière dont ils sont présentés par les médias internationaux, Kusturica constate son impuissance à agir depuis les États-Unis et décide alors de revenir avec son épouse sur sa terre natale et de montrer au reste du monde sa propre vision du conflit qui déchire sa nation. Produit entre la France, l'Allemagne, la Hongrie, la Bulgarie et la Serbie, Underground aborde le difficile thème de la guerre en ex-Yougoslavie et couvre 50 ans d'histoire, des bombardements de l'Allemagne nazie sur Belgrade en 1941 aux conflits ethniques des années 1990, en passant par l'ère Tito. Cette vaste fresque au souffle épique mêle farce bouffonne, symbolisme, onirisme, opéra burlesque et esthétique carnavalesque[9]. Sous son exubérance, le film traduit une conception tragique et désespérée de l’histoire[9]. Underground est à la fois le long métrage le plus douloureux, le plus visionnaire et le plus inventif de la carrière du metteur en scène, nourri par une force poétique et visuelle inégalée dans son œuvre[9]. Il est en partie tourné dans les studios de Prague pour les séquences en intérieur et en partie à Belgrade, en pleine guerre, pour les scènes d'extérieur. Au lendemain du massacre de Tuzla, le film vaut au réalisateur une seconde Palme d'or cannoise en 1995, en dépit de la forte controverse qu’il essuie lors de sa présentation en France. Alain Finkielkraut publie au lendemain de la proclamation du palmarès une violente tribune dans Le Monde, intitulée L'imposture Kusturica[10],[11]. L'auteur y accuse le cinéaste de capitaliser sur la souffrance des martyrs de Sarajevo et de se livrer à une propagande pro-serbe sous couvert d'exprimer sa nostalgie de l'ancienne Yougoslavie[9]. En parallèle, Bernard-Henri Lévy renchérit dans Le Point, reprochant au réalisateur d'avoir « choisi le camp des bourreaux » et de faire d'Underground une arme idéologique au service des nationalistes serbes[9]. Kusturica répond, le , par un article intitulé Mon imposture[12]. Il récuse les accusations proférées à son encontre et affirme que ni Finkielkraut ni Lévy n'ont vu le film, ce que les intéressés confirment tout en maintenant leurs déclarations[13],[14]. Entre-temps, le metteur en scène reçoit le soutien de personnalités du monde culturel parmi lesquelles le réalisateur grec Theo Angelopoulos[15].

Cette polémique, et plus encore un reportage paru dans Le Monde sur le sentiment de « trahison » ressenti par ses amis d'enfance et ses compagnons de cinéma dans le Sarajevo assiégé et bombardé par l'armée des serbes de Bosnie, décident le cinéaste meurtri à « lier son destin au régime de Slobodan Milošević »[16] et à arrêter le cinéma. Il se ravise pourtant après avoir visionné le film Le Jour et la Nuit, « en voyant les dommages que Bernard-Henri Lévy peut causer au monde du cinéma. »[17]. Il tourne Chat noir, chat blanc en 1998, un film aux antipodes du précédent, plus calme mais non moins pittoresque, plein de couleurs, de musique, de cocasserie et d'humour. Il permet au cinéaste d’être gratifié d’un Lion d'argent à la Mostra de Venise en 1998. Comme toujours, pour décompresser, il revient à la musique et enchaîne une tournée mondiale avec son groupe de musique rebaptisé le No Smoking Orchestra. De cette tournée, il réalise le documentaire Super 8 Stories en 2001.

Küstendorf modifier

 
L’ethno-village de Küstendorf

Après plusieurs projets non concrétisés, Kusturica décide de revenir une nouvelle fois sur la guerre et l’aborde à travers une histoire dont il a l'idée depuis longtemps : une transposition de Roméo et Juliette dans les Balkans. L'idée donne naissance au film La vie est un miracle qui sort en 2004. Pour le tournage, il s'arrête avec son équipe dans les montagnes de la Mokra Gora et y construit pour l’occasion une voie ferrée et un village traditionnel en bois. Ce village, baptisé Küstendorf et dont il s’autoproclame maire, est érigé en place forte de l’altermondialisme, du tourisme écologique et de l’enseignement du cinéma comme il l’explique alors lors de nombreuses interviews. Le village est ouvert au public depuis . Un séminaire de cinéma pour jeunes étudiants y a eu lieu au cours de l’été 2005. La commune de Küstendorf gagne en octobre 2005 le Prix européen d'architecture Philippe-Rotthier[18]. Entre-temps le cinéaste, grand lecteur de Gabriel García Márquez dont l'univers a largement influencé Le Temps des Gitans et Underground, nourrit le projet d'adapter L'Automne du patriarche et rencontre l'écrivain colombien à La Havane afin de discuter de la mise à l'écran de son livre[19]. Kusturica souhaite également porter à l'écran d'autres œuvres du prix Nobel de littérature 1982 parmi lesquelles Cent ans de solitude, son chef-d’œuvre[19]. Néanmoins, aucune des adaptations souhaitées ne voit le jour[19].

Toujours dans les environs de Küstendorf, après avoir passé une année à travailler sur un documentaire consacré au joueur de football Diego Maradona, Kusturica débute en 2006 le tournage de Promets-moi. Le premier film, qui met plus de temps à se faire que prévu, sort sur les écrans français à la fin du mois de mai 2008 alors que le second, réalisé après et sélectionné au Festival de Cannes 2007, est distribué en France en janvier 2008.

Andrićgrad modifier

De la même façon qu'il a fait bâtir Küstendorf, ou "Drvengrad" (Village en bois), le réalisateur fonde une nouvelle ville en hommage au livre d'Ivo Andrić, Le Pont sur la Drina. Le réalisateur serbe Emir Kusturica avec le soutien du président de l'entité administrative bosnienne de la République serbe de Bosnie Milorad Dodik, compte adapter au cinéma Le Pont sur la Drina, et pour cela il souhaite reconstruire en dur à l'identique une partie de la ville décrite par Andrić dans son livre[20]. Andrićgrad (en), ou "Kamengrad" (Village en pierre), est construit près de l'actuelle ville de Višegrad, et inauguré le , date commémorant le centenaire de l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche à Sarajevo. Il est également reproché au projet de serbiser un pan de la ville, plutôt musulman.

Quelques touches caractéristiques modifier

La musique modifier

La musique est omniprésente dans les films de Kusturica. Après une collaboration avec Zoran Simjanović pour ses premiers films, ce sont surtout les trois films qu’il fait avec Goran Bregović qui marquent les esprits : Le Temps des Gitans (1990), Arizona Dream (1993) et Underground (1995). Il travaille également avec le trompettiste serbe Boban Marković et sa fanfare de onze musiciens, de nos jours considérée comme l’une des meilleures fanfares d’Europe centrale. Depuis 1998, c’est son propre groupe le No Smoking Orchestra qui assure la musique de ses films. Il y joue de la guitare et du banjo et compose une partie des morceaux.

Les Gitans modifier

Les Gitans sont le thème central de deux des films de Kusturica : Le Temps des Gitans et Chat noir, chat blanc, même si des joueurs de musique tziganes apparaissent dans quasiment tous ses autres films. Emir Kusturica n’a pas de racines familiales gitanes mais il les a fréquentés depuis sa plus tendre enfance et, pour lui, ce peuple symbolise la notion même de liberté[réf. nécessaire].

Kusturica met en scène un opéra punk, Le Temps des Gitans, dont la première représentation est donnée le à l’Opéra Bastille à Paris. L’opéra est fondé sur son film de 1989, Le Temps des Gitans, le livret est écrit par Nenad Jankovic et la musique composée par le No Smoking Orchestra. L’œuvre, très différente de la programmation habituelle de l’Opéra Bastille (chants amplifiés au micro, voies sur scène, décors rocambolesques, etc.) remporte un vif succès critique et public et reçoit des applaudissements fournis lors des représentations.

Influences et références modifier

Son impressionnante connaissance des classiques du cinéma, Emir Kusturica la distille par petites touches dans ses films sous forme de plans hommages directs ou indirects, aux plus grands films. Ainsi:

La politique modifier

Kusturica est souvent très engagé dans les propos qu’il tient lors d’interviews (même si, selon le pays ou la date où est effectuée l’interview, les propos peuvent varier énormément). Cet engagement politique se reflète dans ses films, qui présentent souvent les différents côtés d’un conflit sous un éclairage original. Dans Papa est en voyage d'affaires, le personnage principal, bien que puni trop sévèrement pour un crime politique imaginaire, est en fait un père de famille plutôt négligent. Chat noir, chat blanc, film apparemment apolitique, a été tourné sur les rives du Danube quelques mois avant qu’elles ne soient pilonnées par l’OTAN en 1999. Dans La vie est un miracle, le conflit serbo-bosniaque est montré du point de vue d'un Serbe de Bosnie, chassé de ses terres par les Bosniaques. Ses œuvres tournent souvent en ridicule les mœurs serbes comme bosniaques[9]. Dans ses films et ses déclarations publiques, le cinéaste refuse de considérer la Serbie comme la seule responsable des guerres de l'ancienne Yougoslavie et rejette la vision des médias étrangers sur son pays qu'il juge simpliste et arrogante[9]. Il s'oppose également à l'ingérence occidentale et l'impérialisme des grandes puissances[8]. Underground représente la FORPRONU comme une force corrompue : des scènes coupées de la version projetée à Cannes, en 1995, la montrent fortement active dans des trafics de drogue et d'argent[9].

Prises de position polémiques modifier

Socialiste et antinationaliste[22], Kusturica est régulièrement attaqué dans la presse pour ses prises de position jugées opaques parmi lesquelles le fait d'avoir rejeté la nationalité bosnienne sous prétexte de s'opposer aux particularismes ethniques, son refus de condamner Slobodan Milošević et les exactions serbes, sa défiance envers l'engagement humanitaire aux Balkans ou encore son idéalisation de l'ex-Yougoslavie qui dissimulerait une fascination pour la Grande Serbie[9],[11]. Il lui est également reproché de ne pas reconnaître le droit international et de récuser comme mégalomane le modèle démocratique occidental[11]. Le cinéaste et son groupe, le No Smoking Orchestra, ont écrit une chanson au sujet de Radovan Karadžić, surnommé « Le boucher des Balkans » : Wanted Man[11]. Il qualifie cependant ce dernier de « criminel »[23].

En compagnie de Patrick Modiano, Paul Nizon, Bulle Ogier, Luc Bondy et Elfriede Jelinek, Kusturica apporte, en 2006, son soutien à l'écrivain autrichien Peter Handke face à la censure dont il fait l'objet de la part de la Comédie-Française après s'être rendu aux obsèques de Milošević[24]. En 2008, il participe à une manifestation serbe contre l’indépendance du Kosovo, au cours de laquelle plusieurs personnalités affirment que la Serbie n’acceptera jamais cet état de fait[25].

En 2014, après avoir défendu Alexandre Loukachenko, accusé par l'Occident de bafouer les droits de l'homme au Bélarus, il déclare que « la Russie doit défendre les Russes qui vivent en Ukraine », ajoutant que « malheureusement, l'Ukraine se dirige actuellement sur la même voie que la Yougoslavie, il y a des années »[22].

Symboles modifier

Un certain nombre de thèmes et symboles reviennent dans ses films comme des leitmotive : la vision du monde par les enfants, les amours sombres et passionnées, le conflit ethnique, le déchirement fratricide, le réalisme magique, les animaux, la nature, les mariages, le football, le suicide par pendaison, l’envol, le tragique de l'histoire, le kitsch politique (l'utopie communiste et le rêve américain) et artistique. Généralement, Kusturica fait cohabiter divers registres, genres ou styles dans ses mises en scène : naturalisme, grotesque, burlesque, élégie, satire, parodie, lyrisme, mélodrame, ironie, symbolisme, onirisme, merveilleux, etc.

La famille modifier

L’importance de la famille est souvent au cœur de l’intrigue des films de Kusturica (au travers d’histoires de passage à l’âge adulte, de séparations, de trahisons ou de mariages). Dans sa vie personnelle également, la famille joue un grand rôle puisque sa femme Maja Kusturica (Orthodoxe Serbe) l'assiste dans la production de ses films, et son fils Stribor Kusturica joue de la batterie dans son groupe le No Smoking Orchestra, et fait occasionnellement l'acteur dans ses films. Sa fille, Dunja Kusturica, a été son assistante sur le tournage de Maradona et sélectionne annuellement une quinzaine de films de fin d'études parmi les meilleures écoles et universités de cinéma internationales, projetés au Festival de Küstendorf[26]. Cet événement est l'occasion pour le cinéaste d'afficher une ligne politique altermondialiste et écologiste en s'opposant à tout ce qui symbolise Hollywood : chaque année, une cérémonie d'enterrement de copies de blockbusters américains est organisée[26]. Plusieurs personnalités du cinéma se sont rendues au festival parmi lesquelles Johnny Depp, Benicio del Toro, Bérénice Bejo, Guillermo Arriaga, Srdjan Koljevic, Isabelle Huppert, les frères Dardenne, Nuri Bilge Ceylan, Abel Ferrara, Asghar Farhadi, Paolo Sorrentino, Leila Hatami, Marjane Satrapi, Janusz Kaminski, Nikita Mikhalkov, Kim Ki-duk ou encore Thierry Frémaux[26],[8],[27],[28],[29]. Kusturica vit avec sa famille entre la Normandie, Paris, Belgrade et Küstendorf[30],[31]. Il détient les nationalités serbe et française (il fut naturalisé français à la fin des années 1990)[32],[4].

Filmographie modifier

Réalisateur modifier

Courts et moyens métrages modifier

Téléfilms modifier

Longs métrages modifier

Clip vidéos modifier

Publicités modifier

Emir Kusturica a tourné de nombreuses publicités pour la télévision française dans les années 1990 (Le Sucre, Banque populaire, parfum XS de Paco Rabanne, Renault Occasion), mais aussi pour d’autres pays (Suisse : cigarettes Parisienne People, Allemagne : campagne pour la lutte contre le SIDA, Italie : IOL, Serbie : jus de fruit Next, Russie : Baltimor Ketchup, etc.)

Acteur modifier

Distinctions modifier

Récompenses modifier

 
Au festival de Cannes en 2005

Nominations modifier

Décorations modifier

Jurys de festivals modifier

Divers modifier

Notes et références modifier

Notes modifier

Références modifier

  1. David Binder, « Conversations : Emir Kusturica; A Bosnian Movie Maker Laments The Death of the Yugoslav Nation », sur nytimes.com, (consulté le ).
  2. a b c et d Emir Kusturica sur l'Encyclopædia Universalis, consulté le 21 mai 2014.
  3. Jean-Marc Bouineau, Le Petit Livre d’Emir Kusturica, éditions Spartorange, 1993 (ISBN 2-9506112-2-2)
  4. a et b Stéphanie Leclair De Marco, « Emir Kusturica : un homme de convictions », Valeurs actuelles,‎ (lire en ligne)
  5. Emir Kusturica, « 'I will not cut my film' », sur the Guardian, (consulté le ).
  6. a et b Emir Kusturica sur Ciné-Ressources (associé à la Cinémathèque française), consultée le 21 mai 2014.
  7. Interview de juillet 2003 parue dans Ekstra magazin, magazine de Republika Srpska
  8. a b et c [vidéo], Youtube « Interview d'Emir Kusturica au journal de TV5 Monde (2011) », consulté le 20 mai 2014.
  9. a b c d e f g h et i Sophie Grassin, « Faut-il brûler Underground ? », L'Express,‎ (lire en ligne)
  10. L’imposture Kusturica - Le Monde, 2 juin 1995, accessible avec abonnement
  11. a b c et d Anastasia Levy, « Kusturica, la Palme de l'obscurantisme », Slate,‎ (lire en ligne)
  12. Le Monde, 26 octobre 1995, accessible avec abonnement
  13. Dispute Leads Bosnian to Quit Films; The New York Times, 5 décembre 1995
  14. Sarajevan's Journey From Cinema Hero to 'Traitor';Los Angeles Times, 6 October 1997
  15. Vincent Remy, « Mort de Theo Angelopoulos, cinéaste grec au-delà des frontières », Télérama,‎ (lire en ligne).
  16. A Sarajevo, les souvenirs amers des anciens amis d'un enfant de la rue - Rémy Ourdan, Le Monde, 26 octobre 1995, accessible avec abonnement
  17. « Tube de quenelles pour BHL » [vidéo], sur YouTube (consulté le ).
  18. Olivier Razemon, « Chez Kusturica, au coeur des montagnes de Serbie », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  19. a b et c « Kusturica veut adapter L'Automne du patriarche », Le Nouvel Observateur,‎ (lire en ligne, consulté le )
  20. « [DIRECT] #CharlieHebdo : Marche républicaine à Paris contre les attentats », sur actualitte.com (consulté le ).
  21. "Play It Again, Sam - Retakes on Remakes" de Andrew Horton & Stuart Y. McDougal, University of California Press, 1998, (ISBN 0-520-20593-6) chapitre 11
  22. a et b Mathieu Rollinger, « Ukraine : Emir Kusturica prend le parti de Vladimir Poutine », Le Figaro,‎ (lire en ligne).
  23. Vanity Fair et Condé Nast Digital France, « Le curieux cas Emir Kusturica », sur Vanity Fair, (consulté le )
  24. René Solis, « Jelinek soutient Peter Handke », Libération,‎ (lire en ligne)
  25. Consensus serbe autour du Kosovo, un article de l’Humanité
  26. a b et c Jean-Christophe Buisson, « À Küstendorf, Kusturica fait son cinéma », Le Figaro,‎ (lire en ligne)
  27. [vidéo], Youtube « Johnny Depp-Küstendorf Film Festival », consulté le 20 mai 2014.
  28. « Loin des "tapis rouges", des stars décontractées au festival d'Emir Kusturica », L'Express,‎ (lire en ligne)
  29. « Isabelle Huppert et Benicio del Toro au festival de cinéma d'Emir Kusturica », L'Express,‎ (lire en ligne)
  30. « Kusturica », Le Point,‎ (lire en ligne)
  31. Emir Kusturica sur Arte.tv, consulté le 20 mai 2014
  32. (en) Emir Kusturica sur Serbia.com, consulté le 20 mai 2014.
  33. Palme d'or à Emir Kusturica pour Papa est en voyage d'affaires sur ina.fr
  34. Palme d'or à Emir Kusturica pour "Underground" sur ina.fr

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

De l’auteur
Sur Emir Kusturica
  • Peggy Saule, Le baroquisme d'Emir Kusturica, un cinéma de la métamorphose, éditions EUE, Berlin, 2010, (ISBN 978-613-1-54608-2)
  • Jean-Max Méjean, Emir Kusturica, éditions Gremese, 2007 (ISBN 978-88-7301-625-0)
  • Matthieu Dhennin, Le Lexique subjectif d’Emir Kusturica, éditions L’Âge d’homme, 2006 (ISBN 2-8251-3658-1)
  • Jean-Marc Bouineau, Le Petit Livre d’Emir Kusturica, éditions Spartorange, 1993 (ISBN 2-9506112-2-2)
  • Laurent Le Boëtté, Emir Kusturica, l'éternel gitan des Balkans, mémoire de fin d'études de Sciences-Po Grenoble, Université Pierre Mendès France-Grenoble II, dir. Claude Boyard & Eric Chaudron, 2001, 108 p.
  • Ksenia Smolovié, sous la direction de Bruno Péquignot, Le cinéma d'Emir Kusturica et ses représentations de la Yougoslavie, mémoire de master 1 en médiation culturelle, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, 2014, 96 p.

Articles connexes modifier

Liens externes modifier

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