Chamane des Trois-Frères

peinture rupestre dans la grotte des Trois-Frères (grottes du Volp), Ariège, France

Le chamane des Trois-Frères, aussi connu sous le nom de chamane dansant, est une figure pariétale dite « anthropozoomorphe » ou « thérianthrope », peinte dans la grotte ornée des Trois-Frères, l'une des trois grottes du Volp dans le département de l'Ariège, en région Occitanie, France.

Le sorcier dansant

Situation modifier

Il se trouve dans la salle du Sanctuaire, une position décrite ainsi par Henri Bégouën : « sur la paroi terminale de la salle qui fait le fond de l'étage inférieur de la caverne, à plus de 400 m de l'entrée, et dans laquelle sont réunies toutes les gravures »[1],[n 1].

Description modifier

Le chamane est la figure la plus connue de la grotte : revêtu d'une peau de bison couvrant partiellement le dos et la tête, il porte une coiffe de cerf[n 2].

Il mesure environ 75 cm de hauteur et 50 cm en largeur. Il est entièrement gravé et des parties de corps sont peintes en noir. La peinture semble quelque peu effacée à certains endroits. Mais le corps entier n'a jamais été peint. Le front et les yeux ont des traces de couleur, ainsi que les lignes dessinant le nez[2].

Appelé aussi « petit sorcier à l'arc musical », il semble, d'après le mouvement des jambes, exécuter une danse, tout en faisant vibrer la corde de son instrument de musique dont il tient l'extrémité dans la bouche. L'ethnomusicologue Lucie Rault propose d'y voir« une scène d’approche du gibier courante encore de nos jours chez diverses populations, amérindiennes comme asiatiques, prenant l’animal chassé comme totem et ancêtre, se mêlant au troupeau en une danse magique où l’homme s’assimile à l’animal chassé, non seulement par son apparence, mais aussi par son cri qu’il contrefait au moyen d’un appeau : de cette communion rituelle avec la victime justifie la chasse, en tant qu’acte sacrificiel[3] ».

Ingrédients de peinture modifier

Sa peinture est fabriquée à partir de feldspath potassique[4] ((K, Na) [Si3AlO8][5]), et le pigment noir est du manganèse[4].

Interprétations modifier

Les figurations dites « anthropozoomorphes », ou « thérianthropes » ont plusieurs interprétations possibles, qui ne sont pas mutuellement exclusives. Henri Bégouën émet des doutes sur l'hypothèse d'une représentation de déguisement pour l'approche d'un gibier, car ce déguisement est disparate (un déguisement d'approche de gibier est uniforme et adapté à l’espèce visée)[6]. Les interprétations successives l'ont vu comme un sorcier pratiquant un rite magique[n 3], ou un dieu des animaux dit le « dieu cornu »[n 3], ou encore comme un chamane en transe[7].

Similarités avec des œuvres d'autres sites modifier

Plusieurs grottes du Paléolithique supérieur sont ornées de représentations de chimères mi-humaines, mi-animales, la partie animale étant souvent celle de bisons, de rennes ou de cerfs ; ces figurations dites « anthropozoomorphes », ou « thérianthropes » ont peut-être joué un rôle dans des rituels, éventuellement chamaniques[8] ; le plus ancien dessin de ce type a été identifié dans la grotte Chauvet,, où une figure vieille de 36 000 ans avec le haut du corps d'un bison et le bas d'un corps humain a été dessinée sur une stalactite, face à la représentation d'une vulve[9].

Une tablette de schiste gravée provenant de la grotte des Espélugues (Lourdes)[n 4], originellement mal comprise par É. Piette puis réinterprétée par H. Breuil, présente une figure d'homme à grande barbe, longue queue et peut-être une ramure de cerf[10].
D'autres figures similaires en France sont le sorcier danseur de Gabillou, le danseur à tête d'ours du Mas d'Azil, la ronde d'Addaura.

Péringuey reproduit une fresque boshimane représentant un personnage dans la même position, déguisé en animal. D'autres fresques boshimanes représentent des hommes masqués et couverts de peaux d'animaux, dont certains munis d'une queue et s'avançant dans la même position que notre chamane des Trois-Frères[10].

Barth a trouvé au nord-ouest du lac Tchad une sculpture pariétale incluant un homme portant un masque d'antilope et une queue touffue[10].


Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Bibliographie modifier

  • [Bégouën (H.) 1920] Henri Bégouën (comte) (conservateur des grottes du Volp), « Un dessin relevé dans la caverne des Trois-frères, à Montesquieu-Avantès (Ariège) », bulletin de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, no 4,‎ , p. 303-310 (lire en ligne [sur persee], consulté le ).  
  • [Bégouën (R.) et al. 2014] Robert Bégouën, Jean Clottes, Valérie Feruglio, Andreas Pastoors, Sébastien Lacombe (coop.), Jörg Hansen (coop.), Hubert Berke (coop.), Henry de Lumley (préface) et al., La caverne des Trois-Frères : anthologie d'un exceptionnel sanctuaire préhistorique, Association Louis Bégouën, , 248 p. (présentation en ligne, lire en ligne). (Plan annoté des trois grottes d'Enlène, des Trois-Frères et du Tuc d'Audoubert : p. 48-49. Plan plus détaillé des Trois-Frères et d'Enlène : p. 56-57.)
  • [Clottes et al. 1990] Jean Clottes, M. Menu et Ph. Walter, « La préparation des peintures magdaléniennes des cavernes ariégeoises », Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 87, no 6,‎ , p. 170-192 (lire en ligne [sur persee], consulté le ).  
  • [Clottes & Lewis-Williams 1996] Jean Clottes et David Lewis-Williams, Les chamanes de la préhistoire : transe et magie dans les grottes ornées, Paris, Seuil, coll. « Arts rupestres », , 118 p., ill. en coul., couv. ill. en coul. ; 32 cm (ISBN 2-02-028902-4, BNF 36157930, présentation en ligne).  

Liens externes modifier

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Begouën (H.) 1920, p. 303 : la description par Henri Bégouën de l'endroit où se situe le sorcier dansant ne peut être tout à fait exacte. Si l'on se réfère au plan des trois grottes dans Begouën et al. 2014, p. 39-40, la « salle qui fait le fond de l'étage inférieur de la caverne » est la salle du Foyer ; mais la « salle […] dans laquelle sont réunies toutes les gravures » est la salle du Sanctuaire. ?
    Voir aussi le plan annoté des grottes du Volp sur la page de Don Hitchcock : Grotte des Trois-Frères, sur donsmaps.com.
  2. Voir deux photos et un relevé de la figure du chamane dansant dans Grotte des Trois-Frères, sur donsmaps.com.
    Cette autre page donne une autre photo de la figure : « Photo de la peinture pariétale du chamane dansant, et de son relevé », sur ma.prehistoire.free.fr (consulté le ).
  3. a et b D'après les théories de H. Bégouën et H. Breuil qui ont été les premiers à étudier la grotte.
  4. La tablette de schiste gravée de Lourdes se trouve (en 1920) au musée d'archéologie nationale (MAN) de Saint-Germain-en-Laye, collection Nelli, n° 55522. Cité dans Begouën (H.) 1920, p. 308.

Références modifier

  1. Begouën (H.) 1920, p. 303.
  2. Grotte des Trois-Frères, sur donsmaps.com.
  3. Lucie Rault, Instruments de musique du monde, La Martinière, , p. 20.
  4. a et b Clottes et al. 1990, p. 183.
  5. Clottes et al. 1990, p. 179.
  6. Begouën (H.) 1920, p. 309.
  7. Clottes & Lewis-Williams 1996.
  8. [Yusoff 2014] (en) Kathryn Yusoff, « Geologic subjects: nonhuman origins, geomorphic aesthetics and the art of becoming inhuman », Cultural Geographies, vol. 22, no 3,‎ , p. 383-407 (DOI 10.1177/1474474014545301, JSTOR 26168658, résumé), p. 386.
  9. [Guthrie 2005] (en) R. Dale Guthrie, The Nature of Paleolithic Art, University of Chicago Press, , 507 p., sur books.google.fr (ISBN 978-0-226-31126-5, lire en ligne), p. 208 (légende fig.).
  10. a b et c Begouën (H.) 1920, p. 308.